L’ENTRETIEN COENOVE : Marie Dégremont, cheffe de projet Transition Energétique au sein de France Stratégie

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Marie Dégremont, cheffe de projet Transition Energétique au sein de France Stratégie, se prête ce mois-ci au jeu de l’interview Coénove. Diplômée de Sciences Po paris, politiste et spécialiste des questions de transition énergétique et de décentralisation, elle nous livre sa vision sur la place des collectivités territoriales.

La transition énergétique est au cœur des politiques des collectivités locales, alors même qu’elles ne sont responsables que de 12% des émissions de gaz à effet de serre. Faut-il parler d’engouement ou plutôt d’engagement ?

Les collectivités locales sont directement responsables de 12% des émissions de gaz à effet de serre, mais il faut rappeler que par les compétences qu’elles exercent (planification territoriale, organisation des transports collectifs, politique des déchets…), elles ont un impact sur 50% de ces émissions (ADEME, 2017). Elles sont aussi un échelon de proximité, à même de sensibiliser les acteurs privés, entreprises et citoyens.

D’ailleurs, les collectivités territoriales sont les institutions politiques envers lesquelles les citoyens ont le plus confiance (CEVIPOF, janvier 2017). Une partie d’entre elles a pris conscience de ces enjeux, et dans certains cas, il est possible de parler d’un engagement. Cependant, il reste une part non négligeable des collectivités et acteurs locaux se positionnant sur ces thématiques parce qu’elles tiennent le haut de l’affiche, notamment depuis le Grenelle de l’environnement et surtout la COP 21. Communiquer sur le climat est un moyen de marquer le dynamisme d’une institution, sans que, trop souvent, cet engouement ait une déclinaison concrète ou cohérente. C’est dommage, cela risque de faire perdre du temps et des ressources pour la prise en main de ces défis.

 

Engagement… mais volontarisme également ?

En effet, depuis le milieu des années 2000 en particulier, les programmes énergie-climat lancés par les collectivités qualifiées d’« engagées » peuvent être qualifiés de volontaristes.

D’une part, parce qu’il leur a fallu rassembler des compétences, tester de nouveaux dispositifs, récupérer des données, ce qui peut être relativement difficile pour elles. D’autre part, parce qu’elles se fixent des objectifs généralement ambitieux, car elles cherchent à démontrer leur exemplarité et leur légitimité à prendre en main ces questions. Mais cet engagement garde une portée limitée : s’il a permis de marquer leur intérêt pour ces enjeux, les résultats quantitatifs restent ténus.

 

Vous aimez à dire que les projets des collectivités émanent de « récits de territoire ». A chaque territoire son histoire en quelque sorte… Y a-t-il quand même une ligne directrice qui guide les collectivités locales dans leur projet de transition énergétique ?

Il est possible d’appréhender, dans les grandes lignes, ces démarches locales de transition énergétique. Elles relèvent presque toutes de projet de développement économique local : la transition énergétique est conçue comme un moyen de (re)donner de l’attractivité à un territoire, de le rendre visible, et d’acquérir de nouvelles ressources : financements européens, installation d’entreprises, moyens d’expérimentation. Elles tentent ainsi de se spécialiser sur des activités porteuses et des filières d’avenir. Pour certaines, cela relève de démarches de « rapatriement des ressources locales », d’autonomisation économique et énergétique. Pour d’autres, il est avant tout question de tester voire déployer des technologies innovantes et de développer des systèmes industriels plus vertueux au regard des enjeux du 21è siècle.

Dans ce cadre, le récit de territoire permet d’entraîner des acteurs variés autour de ces dynamiques nouvelles, en faisant résonner différentes sources de motivation, et de donner une cohérence à ces démarches.

 

Vous avez étudié les réalisations de nombreuses collectivités dans vos travaux de recherche, quelles vous semblent être les clés de réussite des projets ?

S’il y a des spécificités territoriales qui impliquent que chaque projet soit adapté aux collectivités dans lesquelles il se déroule, il est effectivement possible d’identifier des facteurs clés de succès.

Premièrement, un portage politique clair, crédible et dynamique. Pour que ces programmes soient lancés et mis en œuvre de manière effective, ils doivent être pris en main par des personnalités avec une réelle implication sur ces sujets. Elles peuvent avoir différents types de statut (élus, dirigeants d’entreprise, d’administrations publiques), même si la détention de positions décisionnelles présente un intérêt certain. Ces personnalités sont en mesure de mettre en relation différentes institutions, et d’entraîner derrière ces projets des acteurs diversifiés.

Deuxièmement, l’action concertée et la coordination entre acteurs territoriaux, publics comme privés. Elle renforce la compréhension mutuelle entre ces acteurs distincts et assure l’appropriation des enjeux. L’implication des entreprises est à ce titre un point essentiel à l’essor de ces programmes. Troisièmement, la mise en place de structures chargées de récolter des données, d’analyser la situation environnementale du territoire considéré, et de construire une expertise à cette échelle. Enfin, l’insertion dans des dynamiques européennes apporte des moyens financiers et facilite l’acquisition d’une capacité d’action locale.

 

Quel message pourriez-vous délivrer aux collectivités qui hésitent encore à s’engager dans la Transition énergétique ?

S’engager maintenant, c’est anticiper des contraintes qui, lorsqu’elles s’imposeront d’ici quelques années, réduiront fortement les marges de manœuvre des collectivités. S’y prendre à l’avance permet de choisir les conditions de cette transition, d’en faire un projet de territoire, de se donner les moyens d’assurer sa prospérité dans les décennies qui viennent. C’est un peu l’histoire de la cigale et de la fourmi.

Cependant, et cela vaut aussi pour celles qui s’y impliquent déjà, il est essentiel que cet engagement soit clairement défini au regard des objectifs climat-énergie, avec des projets qui leur soient cohérents, et y apportent une réelle contribution. Il est trop tard pour en faire uniquement un sujet de communication. Mais il est encore suffisamment tôt pour valoriser des résultats concrets et positifs dans ce domaine !

Pour en savoir plus, France Stratégie organisait récemment une webconférence sur la place des collectivités dans la transition énergétique. Découvrir le replay de cette conférence sur strategie.gouv.fr