L’ENTRETIEN COENOVE : Philippe Boucly, Président de l’AFHYPAC

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La présentation par Nicolas Hulot du Plan Hydrogène le 1er juin dernier semble avoir enfin révélé au plus grand nombre l’intérêt de cette molécule… Elle n’est pourtant pas nouvelle, qu’est ce qui a changé pour qu’elle se retrouve sur le devant de la scène ?

Ph Boucly : L’hydrogène, et les technologies qui lui sont attachées, est en effet connu depuis longtemps mais ce qui a changé, c’est la prise de conscience de l’urgence climatique et en même temps la baisse des coûts des solutions que l’hydrogène apporte. Chaque jour, des événements climatiques d’une violence inconnue jusque-là, manifestent que le changement climatique est à l’œuvre, inexorablement. D’où l’impérieuse nécessité de stopper les émissions de carbone.

À cela s’ajoute d’ailleurs la nécessité de réduire les émissions de substances polluantes (NOX, particules), la mauvaise qualité de l’air créant véritablement un problème de santé publique majeur dans certains territoires. Outre les indispensables efforts d’efficacité énergétique, la solution est la décarbonation de l’économie et notamment entrer dans le cycle vertueux de l’économie circulaire et de développer toutes les énergies renouvelables, le gaz et également l’électricité en exploitant l’énergie du vent et du soleil. L’hydrogène répond à cette démarche : obtenu à partir d’électricité décarbonée grâce à l’électrolyse de l’eau, c’est un gaz qui par conséquent peut se stocker.

Parallèlement, les coûts des technologies de l’hydrogène, technologies qui sont maintenant matures, ont beaucoup baissé et ont atteint un niveau où l’on entrevoit la viabilité économique. Le déploiement de ces technologies va d’ailleurs permettre de poursuivre cette baisse des coûts, à l’instar de ce qu’on a vu pour d’autres technologies émergentes.

 

100M€ annoncé, des objectifs dans la PPE… des moyens et des ambitions sont annoncés par le Gouvernement. Sont-ils à la hauteur des attentes de la filière ?

Ph Boucly : Le plan annoncé le 1er Juin par Nicolas Hulot, ministre d’État, est un signal fort, le signal fort que toute la filière attendait. C’est la reconnaissance par le pouvoir politique que l’hydrogène peut apporter une contribution majeure au succès de la transition énergétique. Ce plan intervient après un grand nombre de signaux positifs qui ont jalonné les quatre dernières années : le rapport de l’OPECST[1] en janvier 2014, le rapport des CGEDD[2] et CGE[3] en mai 2016, le succès de l’appel à projets « Territoires hydrogène » à l’automne 2016. Au cours de cette période, des démonstrateurs, des pilotes se sont mis en place. Comme l’a précisé le ministre, ce montant de 100 millions d’euros s’applique pour l’année 2019. Le ministre d’État a également pris l’engagement que cette somme serait reconduite les années suivantes. Le plan présenté marque une ambition et s’appuie sur trois grands axes : créer une filière industrielle décarbonée, développer des capacités de stockage des EnR et développer des solutions zéro émission pour les transports routiers, ferrés, fluviaux, etc.… Les montants alloués au plan vont permettre de développer/généraliser les solutions mises au point grâce aux démonstrateurs et pilotes. Croyez-moi la filière est mobilisée : les industriels et porteurs de projets vont s’employer à mettre en œuvre rapidement toutes ces solutions.

 

L’hydrogène est déjà une réalité sur le terrain. Le projet GHRYD à Dunkerque visant à incorporer de l’hydrogène dans le réseau gazier domestique vient juste d’être inauguré. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Ph Boucly : GRHYD est l’un des trois démonstrateurs de Power To Gas en France, le plus ancien historiquement. Le projet consiste à alimenter par un mélange de gaz naturel et d’hydrogène des logements (76 appartements, 27 maisons) et un établissement doté de trois chaudières ainsi qu’une flotte de bus. L’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau à partir d’électricité d’origine éolienne sera injecté dans le réseau de distribution de GRDF jusqu’à une teneur de 20%. GRHYD est un démonstrateur qui vise à évaluer en situation de fonctionnement réel la pertinence technique, économique, environnementale et sociétale du Power to Gas.

L’un des buts de ce projet est de contribuer à l’étude de la teneur maximale admissible de l’hydrogène dans les réseaux de gaz : c’est une question qu’il est indispensable d’étudier (c’est d’ailleurs une des recommandations du plan Hulot)afin d’être capable d’utiliser les infrastructures gazières actuelles pour l’hydrogène pur ou en mélange et arriver au plan européen à un taux uniforme dans le cadre du grand marché gazier. L’injection d’hydrogène renouvelable permet de « verdir » le gaz puisqu’elle réduit les rejets de gaz carbonique et de polluants (CO, NOx).

 

On lie finalement beaucoup l’hydrogène à la mobilité, beaucoup moins aux usages stationnaires qui existent pourtant. Le stockage d’énergie en fait notamment partie. Qu’en attendre ?

Ph Boucly : On lie beaucoup l’hydrogène à la mobilité car la mobilité est l’un des moyens rapides de « massifier » et d’industrialiser ces technologies et donc de contribuer à baisser les coûts. En outre, la mobilité hydrogène, étant zéro émission, apporte la solution au problème de la qualité de l’air dans les zones urbaines. Il faut cependant bien voir que l’hydrogène est un vecteur énergétique polyvalent. Afin de contribuer au plan Hulot, nous avons, nous AFHYPAC avec le CEA et 11 grands industriels, produit une étude prospective avec l’aide analytique du cabinet McKinsey. Cette étude a renforcé notre conviction que l’hydrogène peut jouer un rôle majeur dans la transition énergétique en facilitant l’intégration des énergies renouvelables dans le système d’énergie et en participant à la décarbonation de tous les secteurs de l’économie : transport, résidentiel/tertiaire et industrie. C’est bien dans cette voie que sont orientés les trois grands axes du plan. S’agissant du stockage massif, il s’avère que le besoin pour la France métropolitaine ne devrait pas apparaître avant 2035 car les EnR sont encore peu développées et le système électrique français est performant tant sur le plan des interconnexions que sur celui du stockage. Cependant dans les ZNI (zone non interconnectée), le besoin est plus immédiat. Ces zones, les îles par exemple, doivent être autonomes en énergie dès 2030 et l’hydrogène apparaît là encore comme le moyen de stocker l’énergie dans la durée. Dans les éco-quartiers enfin, à une échelle plus réduite, l’hydrogène, en général dans le cadre de solutions mixtes (avec batterie), est aussi une solution pour stocker l’énergie.

 


[1] Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques

[2] Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable

[3] Conseil Général de l’Economie