L’ENTRETIEN COENOVE : Pierre-Yves LEGRAND, Directeur de Novabuild

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Cluster du BTP en Pays de la Loire et porté par plus de 350 adhérents, NOVABUILD est positionné comm l’accélérateur des transitions énergétiques, environnementales, digitales et sociétales pour une construction positive en Pays de la Loire. Comment cela se traduit-il concrètement au quotidien?

Pierre-Yves Legrand : « Les transitions, c’est notre feuille de route au quotidien, une sorte de boussole. Cela permet par exemple de sélectionner les projets sur lesquels nous allons nous engager. La particularité des transitions dans la construction, c’est qu’elles sont sans précédent dans notre longue histoire, et qu’elles arrivent toutes en même temps.

Il nous faut à la fois répondre à l’appel citoyen sur la diminution des consommations énergétiques pour entrer dans les objectifs de la COP21, mais aussi réduire notre empreinte carbone, et réussir l’économie circulaire. Nous passons donc de la transition énergétique à la transition environnementale. Ce changement de modèle, nous devons le faire en même temps que la formidable révolution digitale qui bouscule tout sur son passage. Et il ne faut pas oublier une quatrième transition, celle que nous appelons la transition sociétale. Tout change, les comportements, les envies, les modes de consommation, et on voudrait que la construction reste immuable ? Mettre l’usager au cœur de la construction c’est assurément s’obliger à revoir tous les modèles.

C’est peu de dire que nous ne sommes pas complétement prêts à tous ces mouvements. Une certitude, c’est que personne n’a la solution en restant isolé. C’est là qu’intervient Novabuild. Ce que nous disons à nos 370 adhérents : « venez chez nous trouver des solutions à des problèmes que vous ne pouvez pas, ou ne voulez pas résoudre seul. »

 

La durabilité mais également la réversibilité ou encore l’adaptabilité des bâtiments sont des sujets de plus en plus discutés. Pensez-vous que ce soit là la voie d’avenir ? Comment Novabuild imagine les bâtiments de demain ?

PYL « Il y a maintenant 4 ans, nous avions lancé un groupe de travail intitulé « le bâtiment mutant ». Au départ, certains ont cru à une blague. Rien n’est plus solide qu’un bâtiment, comment l’imaginer mutant ? En fait, le groupe a été très productif, nous avons essayé de théoriser cela. Un bâtiment mutant est celui dont on a conçu dès l’origine qu’il pouvait changer d’affectation et pour lequel on a donc, à la conception essayé de réduire les coûts de ces mutations par des choix structurels assez ouverts (des plateaux par exemple avec des trames pouvant convenir aussi bien pour du logement que des bureaux).

Ce qui est formidable avec les questions touchant à l’avenir, c’est qu’on peut en être un acteur, il suffit de le vouloir et de poser des actes. Par exemple, c’est parce que nous déciderons de faire des bâtiments et des villes plus adaptées au réchauffement climatique, que l’on y parviendra. L’avenir, ce n’est pas quelque chose qu’une espèce de démiurge prépare en cachette, c’est chacun de nous avec nos choix. Le bâtiment sera mutant et évolutif si on en trouve un besoin, et si des acteurs s’en saisissent. »

 

Toutefois, l’enjeu notamment en matière de Transition Energétique reste à ce jour sur la rénovation dont le plan national porté par les Ministères de l’Ecologie et de la Cohésion des Territoires devrait être dévoilé très prochainement. Avez-vous formulé des propositions et plus largement qu’attendez-vous de ce plan ?

PYL : « Les plans, c’est bien car cela pose les enjeux, donne des perspectives, donne un cadre aux acteurs, mais ce qui est le plus important, ce sont les actions réelles qui sont menées.

La rénovation énergétique des 10 millions de logements qui consomment trop, est une nécessité au regard des engagements de la COP21. A partir du moment où cette nécessité nationale n’est pas finançable sur fond public du fait des volumes en jeu, il faut bien d’autres outils de politique publique. Il y en a un bien qui est bien connu, c’est l’obligation réglementaire, à l’occasion de la mutation d’un bien par exemple. Or la période n’est pas à l’augmentation des contraintes.

Il reste donc une grande place à l’imagination pour inventer un bouquet de politiques publiques qui créeraient un mouvement massif vers la rénovation énergétique de niveau BBC. Je vois quelques outils utiles comme une communication ambitieuse basée sur les attentes et envies des particuliers, l’instauration d’un carnet de suivi numérique pour faciliter la prise de conscience, la mobilisation des banques pour offrir des prêts adaptés, la mobilisation des acteurs par des vecteurs comme Novabuild pour rendre l’offre plus lisible, plus visible et plus conforme aux attentes. Le plus important dans le domaine, ce serait la constance dans les choix. Le pire serait de penser que hors de « la carotte et du bâton » (la subvention et la contrainte), on ne puisse rien faire. Or on peut y parvenir, pardon, il faut y parvenir, Il faut faire de la rénovation énergétique une grande cause nationale. Le dire haut et fort, le porter au plus haut niveau, créer une mobilisation à la hauteur de ce qu’a été la reconstruction dans les années 50-60. Or cela, je ne le vois pas encore très bien s’installer. Dommage, on perd du temps que l’on risque de ne jamais pouvoir rattraper. »

 

Que ce soit dans le neuf ou la rénovation, les promesses faites par le numérique semblent importantes. Peut-on parler de révolution et quels impacts pour les professionnels de la construction mais également les habitants ?

PYL : « Oui, il n’est pas exagéré de parler de révolution. La transition est forte, puissante et très rapide. On aurait tort de croire que notre profession pourrait y échapper. Nous vivons en même temps 3 transitions numériques. Celle qu’a connue l’industrie dans les années 90-2000 avec l’introduction du numérique dans les process et notamment l’arrivée de la robotisation des chantiers, la réalité augmentée pour faciliter le travail de pause, les exosquellettes qui viennent alléger la tâche, ou la réalité virtuelle dans la vente. Nous ne construirons pas dans 10 ans comme nous construisons aujourd’hui.

Nous enclenchons un 2e mouvement, en même temps que l’industrie, c’est celui de la généralisation de la conception 3D et la chaîne continue de la 3D, de la conception au chantier puis vers la maintenance. Il n’est plus question de savoir si le BIM va, ou ne va pas être adopté. Ce qui est en question c’est comment reconstruire d’autres relations entre les acteurs suite au bouleversement humain que le BIM porte en lui.

Enfin, il y a un 3e mouvement, c’est celui de l’intelligence artificielle. La question des datas collectées par les objets connectés embarqués dans nos constructions, permet de créer des outils prédictifs, à la fois pour notre process de construction, mais aussi à l’échelle de vie de nos ouvrages (pilotage de l’énergie, etc.). Tout cela est un mouvement qui nous amène vers l’introduction de l’intelligence artificielle dans notre profession.

Ce mouvement va s’ancrer dans la smart city, qui peut imaginer une smart city sans des smart building et donc sans une construction qui serait elle-même smart ? Il est donc essentiel que les acteurs de la construction se saisissent de ces questions. Nous leur proposons d’être en veille sur ce sujet, et de suivre par exemple le compte Twitter @BtoBIM que nous animons dans cet objectif. »

 

Vous avez expérimenté, pour la région Pays de la Loire, le carnet numérique du logement. Pouvez-vous nous en dire un plus ?

PYL : « Au départ il y avait la volonté de l’Etat en 2017 d’expérimenter le carnet de suivi qui avait été créé par la Loi, avant de le rendre obligatoire. Nous avons à Novabuild, constitué un consortium large d’acteurs intéressés par la question de l’information embarquée dans le logement. Le carnet de suivi est en fait un outil de collecte, de stockage et de restitution de l’information plus ou moins filtrée vers différents acteurs. Notre consortium a donc travaillé sur la question des usages. Notre réponse est bien que, contrairement à ce qui existe aujourd’hui, il y a une véritable attente des acteurs envers un tel outil. C’est sûrement une réponse à la complexification de nos ouvrages. Nous avons mis l’accent sur l’utilisation par le professionnel de ce carnet qui peut être utile dans sa relation avec le particulier. Enfin, nous sommes tous monté en compétence sur la question des datas, sur la façon dont ce sujet va bouleverser notre façon de travailler.

Au bout du compte, l’Etat a décidé, à ce stade, de ne pas rendre obligatoire le carnet de suivi numérique. Nous sommes déçus car nous pensons que cela n’empêchera pas celui-ci de s’installer car il répond à un besoin, mais en refusant de le généraliser, l’Etat se prive d’un bel outil qui devait permettre la massification de la rénovation. Nous aimerions à tout le moins que l’Etat définisse ce qu’est un carnet de suivi, et pourquoi pas, vienne agréer certains acteurs qui pourront proposer de façon transparente des carnets dont le cadre serait contrôlé par l’Etat. Nous espérons que la discussion sur la Loi ELAN permettra à cette question d’émerger au Parlement. »

 

Pour conclure, le projet de Loi Logement qui sera présenté en Conseil des Ministres le 4 avril offre justement des opportunités de faire évoluer le secteur. Si vous pouviez y formuler 3 dispositions, quelles seraient-elles ?

PYL : « Rêvons un peu :

  1. Créer le carnet de suivi numérique du logement et lui donner un cadre juridique (définition du contenu, etc.)
  2. Mettre en place un processus d’agrément par l’Etat des acteurs porteurs du carnet de suivi numérique du logement
  3. Encourager des régions à expérimenter le carnet de suivi numérique en le rendant obligatoire sur certains territoires, au moment de la création du logement et de chaque mutation (locataire-propriétaire) »