RE2020 : Contribution de Coénove à la réflexion

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Préfigurée depuis plusieurs années, notamment au travers du label E+C-, la future réglementation dans la construction neuve, dite RE2020 pour réglementation environnementale 2020, entre dans sa dernière ligne droite avec la consultation des acteurs.

L’administration a présenté courant juillet, via plusieurs réunions de concertation, les options envisagées sur les évolutions de la méthode de calcul et le renforcement des exigences. Coénove a pris connaissance de ces propositions avec la plus grande attention et souhaite formuler les commentaires et propositions suivants.

Enseignements du Label E+C- et gestion de la concertation

Mise en place dès 2017 pour préfigurer la prochaine réglementation, cette expérimentation a permis aux acteurs de commencer à appréhender la dimension carbone, véritable rupture par rapport aux approches précédentes. Si cette expérimentation a parfois montré ses limites, par exemple sur la disponibilité des données environnementales (Pep et Fdes) pour les équipements et matériaux, elle a permis une prise de conscience des nouveaux enjeux à relever et une progression sensible dans les données disponibles grâce à une mobilisation sans précédent des industriels.

L’approche consistant à avoir deux niveaux d’exigences carbone, l’un global, l’autre sur les matériaux de construction et les équipements, a permis d’apporter une réelle avancée dans le traitement des émissions carbone, notamment sur la partie construction dont chacun sait qu’elle représente une part très importante de la quantité des émissions d’un bâtiment, avec, de plus, une production immédiate et en une seule fois. Le caractère global de ce nouveau critère répondait parfaitement à la démarche généralisée par ailleurs d’analyse de cycle de vie du bâtiment.

Il est donc regrettable que cette logique ne soit pas reprise dans le projet de RE2020 ; le but de cette réglementation étant avant tout, à notre sens, de faire progresser toutes les filières, sans en exclure. Plus globalement, d’ailleurs, nous déplorons que la très grande majorité des enseignements de l’expérimentation E+C-, dans laquelle se sont investis les acteurs de la filière construction, ne soient pas repris dans la prochaine règlementation et que, dans le même temps, des paramètres nouveaux soient sortis du chapeau, sans concertation.

Que dire, sur ce point, des modifications du PEF et du contenu carbone de l’électricité, totalement différents des valeurs retenues dans la méthode E+C- et qui ne servent in fine que les intérêts des solutions électriques peu performantes, donc très clairement l’effet joule, les autres solutions de type pompe à chaleur n’ayant nul besoin de ces artifices pour se positionner dans le panel des solutions disponibles. Malgré les protestations répétées de l’administration se voulant rassurante sur l’absence de retour de l’effet joule, même « smart » – les problématiques restant strictement les mêmes – les arbitrages pris sur ces critères techniques et les positionnements économiques de ces solutions laissent à craindre que les pratiques de terrain ne s’orientent massivement vers cette solution de facilité.

Nous ne pouvons par ailleurs que regretter la précipitation avec laquelle la dernière phase des travaux est menée, alors même que toutes les hypothèses retenues dans le cadre de la méthode E+C- ont été modifiées et que le moteur de calcul change très régulièrement.

Enfin, le projet de RE2020 porte à ce jour une approche trop cloisonnée des différents paramètres exigentiels notamment entre le carbone, l’énergie et le confort d’été, ce qui est préjudiciable à la pleine mesure des impacts de cette réglementation. Tout en gardant un niveau d’exigence ambitieux, de la souplesse et une perméabilité entre les critères doivent s’opérer.

Mixité des solutions

Qu’il s’agisse des typologies constructives, des matériaux mais également des équipements, la future réglementation ne doit pas outrageusement flécher vers une solution. La diversité de nos régions mais également de nos pratiques doit pouvoir être préservée. D’un point de vue énergétique, cette réflexion doit viser notre sécurité d’approvisionnement, confortée par un mix de chauffage diversifié et la résilience des infrastructures dans la durée, quel que soit le vecteur énergétique. Ainsi, il est impératif que soient par exemple conservées, dans les logements collectifs, des solutions individuelles de chauffage qui ne se limitent pas à l’effet joule et à l’électricité en général et que, en maison individuelle, puisse également se développer un panel de solutions techniques diversifié, alors même que l’électricité y est largement prédominante depuis la RT2005.

Cette mixité s’entend également au sein même des systèmes où les couplages et hybridations doivent être valorisés comme il se doit dans le moteur de calcul de la RE2020, ces solutions favorisant le recours aux énergies renouvelables (couplage solaro-gaz,…) ou encore venant supporter le réseau électrique en le délestant en plein hiver d’une partie des appels de puissance (PAC hybride,…).

Il s’agit d’un principe de bon sens, régulièrement résumé dans l’expression « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », qu’il nous semble toutefois nécessaire de rappeler à l’heure de la volonté affichée d’électrification massive.

Mise en œuvre échelonnée

Chaque nouvelle réglementation nécessite un temps d’appropriation par les acteurs. Le Label E+C-avait pour but de préfigurer cette réglementation, mais l’absence quasi-totale de reprise de ses enseignements légitime encore plus une mise en œuvre échelonnée de la RE2020. Comme mentionné précédemment, cette nouvelle réglementation constitue un véritable bouleversement dans les pratiques de construction qui, rappelons-le, permettent déjà, avec la RT2012, d’atteindre des niveaux de performances dans la construction neuve parmi les plus hauts en Europe. Il n’y a donc clairement pas d’urgence à se précipiter vers de nouvelles exigences dont la partie liée au carbone reste par ailleurs mal maîtrisée, et ce, d’autant plus dans un contexte économique dégradé et incertain du fait de la crise sanitaire.

Ainsi, si Coénove est favorable à la mise en place de la RE2020, elle dénonce une volonté d’avancer à marche forcée alors même que tous les tenants et aboutissants ne sont clairement pas encore maîtrisés. La mise à disposition tardive du moteur de calcul aux acteurs et ses évolutions répétées créent de l’instabilité et ne permettent clairement pas à date de mener, de manière sereine et constructive, des simulations et de juger de l’impact, notamment économique, de futures exigences. De plus, les simulations qui ont pu être menées par le GT Modélisateur restent en nombre limité, prenant en compte une variété insuffisante de cas de figure, et dans lesquels les meilleures techniques disponibles n’ont pas été testées (ITE, triple vitrage, VMC double-flux, meilleure isolation plancher bas, …).

Cohérence dans la méthode

Si nous comprenons tout l’intérêt d’une approche des évaluations des émissions de GES en ACV dynamique, notamment dans la construction pour inciter à recourir au bois énergie, nous contestons que cette approche ne soit pas appliquée au contributeur énergie. Cette approche est d’ailleurs celle qui avait été avancée par la DGALN lors des réunions préparatoires.

Pour une question de cohérence, il convient que la même méthodologie soit appliquée aux différents contributeurs, libre à l’administration de retenir ensuite une approche dynamique ou non.

Positionnement sur les indicateurs

Nota bene : de nombreuses modifications ayant été apportées par rapport à la RT2012, notamment sur les surfaces de référence ou encore les fichiers météo, il n’est pas pertinent de s’attacher à comparer les valeurs. Coénove s’est toutefois assurée que les valeurs proposées amènent à une amélioration par rapport à la réglementation en vigueur.

ÉNERGIE

Bbio

Cet indicateur doit être exigentiel et permettre, dans la droite ligne de ce qui a été mis en œuvre dans la RT2012, de continuer à progresser sur le bâti et la réduction des besoins. Son renforcement ne peut toutefois s’entendre sans un renforcement conjoint du Cep, au risque sinon de faire revenir des solutions peu performantes. En effet, le Bbio vient contraindre les éléments relatifs au bâti mais ne cible nullement les pertes par exemple liées à la production d’eau chaude ou encore à la distribution.

Par rapport aux valeurs proposées dans les scénarii présentés par la DHUP, à savoir 90, 80 et 75 points pour les logements collectifs en zone H2b et au regard des simulations effectuées, la valeur cible de 90 points semble à la fois suffisamment contraignante pour amener une progression, sans par ailleurs engendrer un surcoût disproportionné.

Concernant les maisons individuelles, il est proposé de retenir comme valeur 95 points, ce qui constitue une amélioration par rapport à la RT2012 pour laquelle le niveau recalculé serait de 100 points.

Cep

Indicateur de référence concernant l’efficacité énergétique, le Cep se doit également d’être exigentiel et ambitieux. Nous proposons un renforcement en parallèle du Bbio comme mentionné précédemment. Toutefois, afin de garder un équilibre entre les filières, il nous semble que les valeurs intermédiaires suivantes représenteraient un compromis acceptable :

  • 80 kWh/m2.an en logement collectif
  • 65 kWh/m2.an en maison individuelle

Cep nr

Si une exigence devait être prise sur cet indicateur, elle ne pourrait s’entendre qu’en étant corrélée à une exigence sur le Cep, le risque étant sinon de desserrer la contrainte sur les exigences des systèmes et de ne plus avoir de garde-fou sur les consommations des systèmes RCU et bois notamment. En effet ce n’est pas parce que les énergies sont dites renouvelables qu’il ne faut pas en faire un usage optimisé. De plus, nous tenons à rappeler la décorrélation qui existe actuellement sur la biomasse, entre l’usage fait sur le stockage et sa rapidité de renouvellement. Renouvelable oui, mais pas forcément instantanément…

Eges_Energie

Nonobstant notre demande d’un critère Carbone global associé à un critère sur les matériaux de construction et les équipements, nous constatons que l’administration persiste dans sa volonté de mettre en place un indicateur exigentiel Eges_Energie.

Si tel est le cas, il convient dans un premier temps que ce critère soit modulé en fonction de la zone géographique comme le sont les critères Bbio et Cep.

Sur le logement collectif en zone climatique H2b, l’administration a ciblé les valeurs de 12, 10 et 7 kgCO2/m2.an. Dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle exigence et que les calculs montrent que les systèmes usuellement installés en RT2012 s’établissent à 15 kgCO2/m2.an, il semble raisonnable d’établir une première marche de progression à 13 kgCO2/m2.an. Cette valeur vient déjà contraindre les équipements dits émissifs tels que les chaudières gaz en imposant une sur-isolation et donc un surcoût à la construction. Pour rester par contre dans une logique de progression, Coénove propose qu’une trajectoire soit mise en œuvre au pas de temps de 4 ans et que la valeur soit rabaissée à 11 puis 9 kgCO2/m2.an ; la suite de la trajectoire au-delà de ces 8 ans dépendant vraisemblablement d’une nouvelle réglementation mise en œuvre d’ici là dans la construction neuve.

En maison individuelle, Coénove propose de retenir le seuil de 10 kgCO2/m2.an qui constitue d’une part un progrès par rapport à la situation actuelle et vient d’autre part contraindre comme précédemment les équipements dits émissifs.

Il faut en effet garder en tête que les équipements associés à la boucle à eau chaude doivent rester bien positionnés dans la mesure où ils permettent le recours le plus large possible aux meilleures solutions disponibles (raccordement à un RCU, à une PAC, à une chaudière à très haute performance énergétique…) laissant ainsi le choix aux consommateurs de leur énergie de chauffage, tout en permettant un changement aisé de technologie et/ou d’énergie à tout moment.

De plus, la boucle à eau chaude offre la possibilité de pouvoir hybrider les solutions pour réduire les émissions de GES, et ce même a posteriori : tel est le cas des hybridations Gaz + Solaire, Gaz + Thermodynamique pour le chauffage ou encore la production d’Eau Chaude Sanitaire.

Il convient enfin de préciser que dans le cadre du développement de la chaleur renouvelable, le verdissement des réseaux via le recours à la biomasse et au développement de la méthanisation fait que les équipements fonctionnant sur la base de ressources fossiles aujourd’hui fonctionneront demain avec des énergies 100% locales et renouvelables.

Chaleur renouvelable

  • RCR
    Les calculs effectués pour cet indicateur sur la base de la dernière formule transmise montrent des résultats extrêmement tranchés sur le positionnement des solutions. L’approche binaire qui en résulte – la solution passe ou ne passe pas et dans ce dernier cas sans marge de progression – nous incite à la plus grande prudence quant à cet indicateur, d’autant plus que ce caractère « tout ou rien » ne semble pas en phase avec l’objectif même de la RE2020 visant à faire progresser toutes les filières. Un travail semble encore nécessaire sur cet indicateur pour sortir de son caractère actuellement discriminant et qu’il embarque l’ensemble des EnR, y compris le PV.
  • Méthaneuf
    Si nous émettons certaines limites sur le RCR, l’objectif global poursuivi visant à développer le recours à la chaleur renouvelable dans la construction doit par contre être pleinement encouragé. Pour ce faire, il convient là encore de s’appuyer sur l’ensemble des solutions disponibles, qu’elles soient in situ mais également décentralisées. Ainsi, le mécanisme de production de biométhane additionnel proposé par GRDF sous le nom de Méthaneuf doit être retenu comme contributeur actif dans la RE2020, d’autant plus qu’il n’impacte pas les finances de l’état et permet d’apporter une solution de chaleur renouvelable sur la durée, là où les autres équipements ou vecteurs ne pourraient être installés pour des raisons techniques (surface de toiture limitée par exemple pour le solaire thermique) ou encore de rentabilité (densité pour le RCU par exemple).
  • CONFORT D’ETE

Référence aux bâtiments RT2012 inadaptée

Dans le cadre des simulations mises en œuvre par le GT applicateur, Coénove a relevé un biais méthodologique important du fait du recours à des bâtiments RT2012 en lieu et place de bâtiments spécifiquement conçus pour la RE2020. Cela a un impact considérable au niveau du confort d’été et du recours à la climatisation fictive, dans la mesure où il est largement reconnu que ces bâtiments souffrent d’une faiblesse de conception et se révèlent inconfortables, dès lors que les températures extérieures augmentent. Ainsi pour avoir une vue réelle de la situation au regard des exigences, il faudrait modéliser des bâtiments RE2020 intégrant une conception bioclimatique (orientation des baies, optimisation du nombre de logements traversants, occultations perméables, brasseurs d’air, inertie, …) pour s’assurer du confort d’été et ne pas partir de bâtiments ‘pénalisants’ car non optimisés dans leur conception.

Vu ce parti pris, les résultats des tirs actuels sont sans appel : 80% des bâtiments examinés se retrouvent classés « inconfortables » (> à 350°h) et se voient affectés de facto d’une consommation supplémentaire dite de « climatisation fictive ». Or, affecter une consommation de climatisation fictive à des bâtiments inconfortables s’apparente au mieux à un palliatif (sorte d’emplâtre sur une jambe de bois) et ne permet en rien de traiter la cause du problème liée à la conception et au bâti. Il faut impérativement axer les efforts sur la conception des logements, dans une démarche prioritaire de bioclimatisme et tester ces nouveaux bâtiments sur le respect ce critère D°H.

Une erreur de positionnement

Dans la réflexion et l’analyse, les consommations de climatisation fictives ont volontairement été prises comme supérieures que ce qu’elles seraient avec un système de climatisation réel. Concrètement, comme pour toutes les valeurs par défaut artificiellement gonflées, ce parti pris va inciter logiquement les concepteurs à recourir à un système de climatisation réel, dans la mesure où il est moins impactant pour le Cep du bâtiment que le recours à la climatisation fictive. De fait, sous couvert de confort, il en résulte une incitation forte à installation des systèmes de climatisation active, consommateurs d’énergie, au détriment de l’intelligence de conception qui devrait être mise en œuvre en amont.

De plus, le calcul des consommations de froid est basé sur des scénarios d’occupation et sur une gestion de la température déconnectée de la réalité. En effet, à l’instar de ce qui est considéré dans les scénarios d’occupation en mode chauffage (par exemple une semaine d’absence en décembre), il devrait être considéré 2 semaines d’absence en période estivale. De plus, les durées de fonctionnement à la température de consigne nous semblent surestimées : on ne gère pas une climatisation comme on gère un chauffage et il n’est pas attendu un fonctionnement continu de celle-ci.

Un contre-sens vis-à-vis de l’efficacité énergétique

Ainsi, plutôt que de faire en sorte que les bâtiments neufs soit conçus dans une démarche bioclimatique, cette nouvelle méthode présente 2 risques majeurs évidents si le Cepmax devait être calé en tenant compte de ces consommations de climatisation fictive :

  1. Il est plus incitatif pour le concepteur de mettre en place un système actif de climatisation que d’essayer de repenser le bâtiment ou trouver des systèmes passifs permettant de passer sous la barre des 350°h,
  2. Si le concepteur arrive à l’aide de systèmes passifs (brasseurs d’air …) à passer sous la barre des 350°h, le bâtiment aura un droit à consommer supplémentaire sur les usages traditionnels, à la hauteur des consommations de climatisation, permettant ainsi aux systèmes les moins performants de pouvoir respecter le Cepmax. Notons au passage, que rien dans ce cas n’empêchera, de toutes façons, l’utilisateur final de rajouter par la suite une climatisation mobile ou fixe, conduisant ce logement à une surconsommation manifeste par rapport à l’attendu.