
3 questions à Christian Couturier, Directeur de Solagro
Publié leInvité d’honneur du Point Rencontre des Membres de Coénove de juin 2025, Christian Couturier, Directeur de Solagro, a accepté de répondre à nos questions et partager les grandes conclusions de leur étude « Quelles biomasses pour la transition énergétique » publiée en octobre 2024.
Pouvez-vous nous présenter Solagro, vos travaux et leur portée dans les scénarios de transition énergétique ?
Solagro est une entreprise associative pionnière dans les domaines de l’agroécologie, de l’énergie et de l’environnement. Depuis plus de 40 ans, nous accompagnons les territoires, les acteurs agricoles et les collectivités dans la transition énergétique et écologique. Notre démarche s’appuie sur une expertise scientifique indépendante, des outils de modélisation reconnus et un ancrage fort dans les réalités de terrain.
L’un de nos travaux les plus emblématiques est le scénario Afterres2050, une prospective complète sur l’usage des terres, des ressources agricoles et forestières à l’horizon 2050, en cohérence avec les objectifs climatiques de la France. Ce scénario éclaire les arbitrages à opérer entre alimentation, énergie, biomatériaux et préservation des écosystèmes, dans une approche systémique et territorialisée.
Quels sont les principaux enseignements de votre récente étude : « Quelles biomasses pour la transition énergétique ? » ?
Cette étude, publiée en 2024, s’intéresse à la contribution que peut réellement apporter la biomasse – agricole, forestière ou issue des déchets – à la transition énergétique, dans les limites des capacités des écosystèmes. Nous soulignons que la ressource est contrainte, et que sa mobilisation doit impérativement s’inscrire dans une logique de durabilité, en évitant la concurrence avec les fonctions alimentaires, humaines et animales, les fonctions écologiques des écosystèmes et des sols, les besoins en matériaux et en énergie. C’est l’approche dite des 6F – food, feed, fuel, fiber, forest, fertility
Contrairement à une approche classique qui propose une simple hiérarchisation des usages – du « plus utile » au « moins utile » – notre démarche propose de revoir la répartition actuelle des usages de la biomasse, héritage du passé. L’enjeu est de proposer une nouvelle allocation, cohérente avec les défis d’aujourd’hui : restauration de la biodiversité, lutte contre le changement climatique, adaptation au changement climatique, résilience alimentaire, enjeux de santé globale, préservation des sols vivants. Notre étude met aussi en évidence la difficulté de produire en quantité des biocarburants avancés, notamment les biocarburants aériens, alors que le bioGNV s’avère une filière mure. Aujourd’hui les garanties d’origine couvrent la moitié de la consommation de GNV. Les orientations de la SNBC et de la PPE devraient mieux tenir compte du stade de maturité des technologies. Plutôt que de compter sur des technologies qui sont encore loin d’avoir fait la preuve de leur capacité à se déployer à large échelle rapidement, nous pensons que le vecteur méthane devra jouer un rôle plus significatif que celui qui lui est souvent assigné dans ces exercices prospectifs.
Quel rôle les gaz verts peuvent-ils jouer dans la décarbonation des usages en France, et pourquoi, d’après vous, leur potentiel reste sous-estimé par les Pouvoirs Publics ?
Les gaz renouvelables, notamment le biométhane, occupent une place stratégique dans le bouquet énergétique décarboné, en particulier pour les usages qui ne peuvent être facilement électrifiés. Ils apportent des solutions concrètes pour la mobilité lourde, certains procédés industriels ou la production de chaleur, notamment dans l’habitat collectif, dont la moitié du parc se prêtera difficilement à l’installation de pompes à chaleur. SOLAGRO défend une vision agroécologique de la méthanisation agricole. Nous nous appuyons sur de nombreux retours d’expérience qui montrent qu’il est possible d’utiliser la méthanisation comme un levier de l’agroécologie.
Pourtant, le potentiel de la méthanisation est aujourd’hui souvent sous-estimé. Cela tient en partie à une vision encore trop centrée sur une électrification généralisée, qui tend à négliger les apports complémentaires et structurants que peuvent offrir les gaz renouvelables, notamment en matière de stockage, de flexibilité du système énergétique et d’aménagement des territoires. Côté ressource, plusieurs études minorent le potentiel des gaz renouvelables. Mais nos travaux les plus récents, par exemple ceux menés pour le compte de FranceAgriMer sur les cultures intermédiaires, confirment largement les résultats de nos études précédentes. Le retour du terrain permet de mesurer à la fois les limites, mais aussi les potentialités, qui souvent émergent de l’expérimentation. Il faut sortir d’une logique de cloisonnement des vecteurs énergétiques. Les gaz verts ne doivent pas être considérés comme une énergie de niche, mais comme un levier central dans une transition énergétique pensée de manière systémique et durable.