Entretien Coénove : Albane Gaspard, service Bâtiment de l’Ademe et Jean-Christophe Visier, prospective Bâtiment et immobilier au CSTB-Ademe

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Il y a près d’un an, l’Ademe et le CSTB lançaient l’initiative ‘Imaginons ensemble les bâtiments de demain’. Pouvez-vous nous dire de quoi il retourne ?

Il s’agit d’une démarche dont le but est d’amener les acteurs des filières du bâtiment et de l’immobilier à réfléchir au futur pour mieux s’y préparer. En effet, l’histoire du bâtiment est celle d’une adaptation permanente entre le besoin de bâtiments et les bâtiments eux-mêmes. Cela a conduit à des évolutions majeures depuis l’après-guerre : la construction neuve pour absorber la demande issue de la croissance démographique, la baisse du nombre de personnes par ménages, mais également la métropolisation ou le développement d’activités tertiaires comme les bureaux ou le commerce… Or, nous sommes à l’aube de mutations qui vont faire changer la demande adressée aux bâtiments de façon tout aussi importante que par le passé, mais différemment. Comment s’adapter au vieillissement de la population ? Au changement climatique ? Aux évolutions possibles du mode de propriété ? A la mutation des activités économiques dans un contexte où la demande de bureaux et de commerce pourrait diminuer ? Au final, comment s’assurer que les bâtiments de demain seront bien adaptés à la demande de demain ?

C’est à cette question que nous souhaitons inviter les acteurs des filières à réfléchir. En effet, même si l’avenir ne se prévoit pas, il peut se préparer, s’anticiper.

C’est la raison pour laquelle nous avons réuni un comité de prospective de 15 personnes composés de participants d’horizons divers pour préparer avec nous ces éléments de réflexion pour les filières.

 

Ce travail de prospective vous a amené à identifier de nombreux facteurs influant sur nos futurs bâtiments. Comment s’est déroulé ce travail et vous a-t-il réservé des surprises ?

Nous avons commencé par un brainstorming avec le comité autour de la question « quels sont les facteurs qui pourraient avoir un impact sur le bâtiment et l’immobilier à 2050 ? » Nous avons recueilli près d’une centaine d’idées, que nous avons ensuite classé, organisé, etc. pour arriver à 22 facteurs clés. Nous les avons ensuite analysés un à un : comment ce facteur a-t-il évolué par le passé ? quelles sont les incertitudes pour l’avenir ? Quelles hypothèses d’évolution peut-on faire ? La dernière étape, que nous ouvrons ce mois-ci, consiste à articuler ces hypothèses entre elles pour composer des scénarios d’évolution à 2050.

Les surprises ont été nombreuses sur le chemin ! Parfois, il s’agissait de mettre des ordres de grandeur sur des facteurs que nous avions en tête, mais de façon confuse. Par exemple, dire « la société va vieillir » n’a pas autant de poids que « en 2050, le nombre de personnes de plus de 75 ans passera de 6 millions actuellement à 12 millions alors que la population de moins de 60 ans risque de se réduire ». Nous avons également découvert des sujets que nous connaissions mal, car notre pratique professionnelle ne nous avait pas confronté à eux. Par exemple, comprendre les mécanismes de financement de l’immobilier et l’évolution des services immobiliers depuis les années 1980 a été très instructif, et nous pensons que chacun peut, comme nous, se laisser surprendre par des facteurs qui impacterons son activité mais qu’il n’avait pas en tête !

 

La prospective prête parfois à sourire tant elle peut ouvrir le champs des possibles. En est-il de même pour ce travail et des acteurs de terrain pourront-il facilement se l’approprier ?

Nous allons travailler, avec les membres du comité, à produire des scénarios à 2050. La prospective peut paraître décalée quand les scénarios qu’elle présente semblent très éloignés de l’image qu’on a de l’avenir. Or, il est très important d’avoir en tête que des scénarios qui nous paraissent peu réalistes ou peu souhaitables peuvent sembler réalistes et souhaitables à d’autres ! Comprendre que les acteurs avec lesquels on travaille ont des visions de l’avenir radicalement différentes des nôtres est très important ! Ainsi, il ne faut pas avoir peur de se laisser surprendre par ces visions d’avenir.

Par ailleurs, au-delà des scénarios, l’analyse que nous avons produite peut également permettre à chacun de découvrir des facteurs d’évolution auxquels il n’avait pas pensé, mais qui pourraient avoir un impact sur son activité dans le futur. Par exemple, lorsqu’on réfléchit à la rénovation des logements à 2050, on intègre rarement l’idée que l’évolution des revenus des ménages est très incertaine, ou encore que les modes de propriété du logement pourraient changer. Les équipements ou les services qu’on développe seront-il encore pertinents si les inégalités de revenus augmentent ? Ou si les investisseurs institutionnels reviennent sur le marché du logement ? Chacun pourra ainsi se nourrir de l’analyse de chacun des facteurs.

 

Au final, vous les imaginez comment, vous, les #BATIMENTDEMAIN ?

Bonne question ! Travaillant à l’ADEME et au CSTB, engagés dans la transition écologique, on a forcément envie de les imaginer le moins impactants possibles pour l’environnement. Des bâtiments rénovés, évolutifs afin de limiter le besoin de construction neuve et la vacance, mais aussi dont l’occupation est pensée pour éviter ces moments où un bâtiment est vide (les écoles ou les bureaux pourraient accueillir des activités le weekend ! Et si la cantine du bureau devenait un resto le samedi soir ?).

Mais nous voulons aussi les imaginer conviviaux et adaptés aux évolutions des modes de vie et des besoins de leurs occupants. Un défi sur lequel les professionnels vont devoir travailler ? La surface. En effet, quand on sait que cette dernière a crû de 23m2 par personne en 1970 à 43m2 aujourd’hui, et que la croissance en surface du parc a annulé les gains d’émissions de gaz à effet de serre obtenus grâce à l’efficacité énergétique, on sait qu’il faut agir. Mais comment le faire tout en préservant l’intimité, la « chambre à soi » ? Et ce dans une société vieillissante ? On a envie d’imaginer des espaces partagés, mais quelle forme prendront-ils concrètement ? Ce sera aux professionnels de nous le dire !