3 questions à Cécile Prévieu, Directrice Générale Adjointe de ENGIE en charge des activités Infrastructures
Publié leA l’occasion de la publication en juin 2023 du scénario d’ENGIE en termes de transition énergétique pour l’Europe à l’horizon 2050, Cécile Prévieu, Directrice Générale Adjointe en charge des activités Infrastructures, a accepté de répondre aux questions de Coénove. Elle revient notamment sur la vision de l’énergéticien concernant la complémentarité des différentes sources d’énergie renouvelable pour assurer la résilience du système énergétique.
Le 12 juin dernier, ENGIE a présenté ses scénarios de décarbonation et de réussite de la transition énergétique, en France et en Europe, à horizon 2050. Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes de ces scénarios ?
La transition énergétique est au cœur de la raison d’être d’ENGIE, de notre stratégie et de toutes nos actions. A l’heure où les débats sur la planification énergétique s’intensifient, nous avons souhaité partager nos convictions sur la trajectoire qui nous paraît la plus réaliste pour atteindre le net zéro carbone en s’assurant de deux critères clés : la maîtrise des coûts pour les citoyens et les entreprises, et la fiabilité du système énergétique.
Il en ressort cinq grandes convictions pour une transition réussie.
Tout d’abord nous pensons qu’une approche sans dogmatisme est nécessaire : tous les leviers existants ou en cours de développement doivent être actionnés, nous prônons une pluralité technologique pour guider les choix de transition.
Ensuite, la baisse des consommations d’énergie, tous secteurs confondus, est un prérequis à la transition. Les efforts d’efficacité énergétique doivent être renforcés, en particulier en massifiant la rénovation performante des bâtiments. Le changement dans les comportements de consommation aura aussi un rôle important à jouer dans l’atteinte des objectifs de sobriété.
L’accélération massive du développement des énergies renouvelables électriques (solaire et éolien) jouera un rôle considérable dans la trajectoire de décarbonation, afin de sécuriser les besoins grandissants liés à l’électrification des usages.
En parallèle, de plus grandes capacités de flexibilité vont être nécessaires dans le futur système énergétique puisqu’il s’appuiera sur une production d’électricité largement renouvelable, intermittente et décentralisée. Le déploiement de toutes les solutions de flexibilité qui seront nécessaires dans 10 ans doit être anticipé dès maintenant.
Enfin, et c’est fondamental, l’alliance de la molécule et de l’électron, c’est-à-dire coupler les vecteurs du gaz et de l’électricité nous parait la réponse la plus pertinente à des objectifs ambitieux de transition énergétique. En complément de la biomasse, et du biométhane en particulier, les atouts des molécules de synthèse (hydrogène, e-méthane, etc.) doivent être valorisés pour verdir le gaz. Le renforcement de l’expertise dans ces technologies et l’utilisation des infrastructures gazières pour de nouveaux usages permettront de minimiser les coûts pour la collectivité et garantiront la résilience du système.
En France, une consultation sur la décarbonation du secteur du bâtiment a été lancée par les pouvoirs publics. Quels sont d’après vous les principaux leviers pour décarboner les logements dans le respect du pouvoir d’achat des ménages et des finances publiques ?
La décarbonation des bâtiments est un enjeu majeur pour la trajectoire de décarbonation de la France, une priorité de l’action publique, mais également un levier clef pour ENGIE dont la mission est d’accélérer la transition énergétique. En 2021, les émissions de CO2 du secteur en France étaient de 75 Mt, soit 18% des émissions du pays. Elles devront être réduites à 30 Mt en 2030. Plusieurs chemins sont possibles pour atteindre cet objectif mais nous pensons que l’interdiction des chaudières gaz serait une mesure contre-productive. Nous avons donc répondu à la consultation lancée par le gouvernement en présentant une stratégie incitative, et non punitive, qui propose des solutions pragmatiques aux consommateurs.
Tout d’abord nous recommandons le déploiement des pompes à chaleur hybrides et des systèmes hybrides gaz / électricité (hybridation des chaudières existantes et installation de PAC hybrides au renouvellement des chaudières en fin de vie) et l’installation de chaudières à très haute performance énergétique (THPE) dans les logements non compatibles aux pompes à chaleur (ce qui est le cas dans de nombreux logements).
Par ailleurs nous sommes convaincus que la décarbonation du bâtiment passera par l’accélération des gaz renouvelables et leur allocation prioritaire aux besoins de chauffage. Il ne faut pas sous-estimer le potentiel des gaz renouvelables. La méthanisation est la seule filière renouvelable en avance sur son objectif PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie). En 5 ans, 11 TWh de capacité de production sont sortis de terre. La France dispose du potentiel de biomasse nécessaire pour produire 60 TWh de biométhane en 2030 et atteindre 25% de gaz vert dans les bâtiments à cet horizon (30 TWh). Le gouvernement doit pour cela envoyer un signal fort au consommateur. Afin d’établir un signal prix incitatif, à l’instar de ce qui se pratique déjà pour la chaleur et l’électricité renouvelable, nous recommandons d’appliquer un taux de TVA réduit à 5,5% sur la fourniture de biométhane dès lors qu’il représente plus de 50% du gaz utilisé (baisse de TVA qui permettrait aux fournisseurs de proposer une offre 50% gaz vert au même prix qu’une offre grise).
Enfin, il faut bien évidemment accélérer la rénovation thermique des logements, encourager la sobriété énergétique, et accélérer la sortie des chaudières au fioul en accompagnant les ménages concernés.
Les scénarios d’ENGIE s’appuient fortement sur la complémentarité des énergies (électricité et gaz renouvelables) et l’hybridation. Comment accélérer ces solutions bénéfiques à la flexibilité et à la résilience de nos systèmes énergétiques français et européens ?
En effet, les solutions hybrides gaz / électricité sont indispensables pour décarboner rapidement les bâtiments et présentent de nombreux avantages. C’est le modèle que l’Italie et les Pays-Bas ont choisi, et qui est discuté actuellement en Allemagne. La PAC hybride connaît en 2022 une progression de +100% en Europe avec 165 000 unités installées.
En premier lieu, elles sont économiques. Pour le système énergétique on parle tout de même d’une économie de plus de 1 milliard d’euros par an à l’horizon 2030 par rapport à un scénario 100% électrique, en évitant le surdimensionnement du système. Pour les ménages, ces solutions permettent 30 à 40% d’économies d’énergie, soit une économie pouvant aller jusqu’à 1 500 € /an par foyer, pour un reste à charge à l’installation compris entre 1000 à 4 000 € dans le cas de l’hybridation d’une chaudière existante.
C’est un système efficace qui permet une réduction de 70% de la consommation de gaz et donc des émissions de CO2.
Enfin la France, en tant que leader mondial des chaudières à gaz, pourra capitaliser sur son tissu industriel et son savoir-faire pour développer une filière de pointe de la PAC hybride, en concurrence des PAC électriques asiatiques.
Afin d’amplifier le déploiement des systèmes hybrides, nous recommandons d’étendre le crédit d’impôt « PAC électriques » aux PAC hybrides pour accompagner la conversion des industriels du chauffage, et d’étendre la prime « coup de pouce chauffage » du dispositif CEE aux installations de PAC en relève de chaudières pour permettre l’hybridation des chaudières existantes.
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