3 questions à Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’Environnement
Publié leAmplification des catastrophes naturelles, épidémies à répétition, perte de biodiversité et plus largement perte de richesses, les prises de conscience sur les changements que notre monde subi et que nous subissons en retour se font de plus en plus aiguisées et un thème semble émerger : celui de notre responsabilité. Partagez-vous cette approche ?
Nous vivons une époque dont je crois pouvoir dire qu’elle n’a pas de précédent historique puisque le sujet n’est pas historique mais anthropologique. Cela ne relève pas d’un nouveau temps historique ; ce que nous vivons n’est pas le passage de l’ère préindustrielle à la première révolution industrielle, nous vivons quelque chose d’infiniment plus important dans la mesure où le modèle de développement que nous avons collectivement choisi a provoqué de telles modifications sur la planète que celle-ci s’en trouve considérablement transformée, et c’est pour cela que l’on parle d’anthropocène. Bien sûr, nous avons tous à l’esprit la question climatique, mais il y a aussi la biodiversité, c’est-à-dire le vivant. Aujourd’hui, il n’existe plus une région française qui échappe au constat de la transformation des espèces vivantes, des insectes, des oiseaux, des animaux, des végétaux… Par ailleurs, la question de la santé environnementale est indissociable des précédentes. C’est bien la question de notre responsabilité collective qui est posée
Dans ce contexte, quel rôle joue le droit ?
Le droit joue un rôle tout à fait novateur. Il ne s’agit pas de fustiger tel ou tel acteur en parlant de la responsabilité personnelle qui existe, mais de voir comment, au niveau planétaire, les juridictions changent actuellement les règles du jeu. Il ne s’agit plus de faire de la responsabilité une question d’aval mais une question d’amont. Il est intéressant d’utiliser le levier de la responsabilité pour éviter que le mal ait lieu et afin d’être dans la prévention. Cela nécessite une épée de Damoclès suffisamment importante pour qu’elle puisse jouer son rôle, mais encore faut-il pouvoir la mettre en place. Or, nous constatons que, sur le plan international, cette épée de Damoclès n’a pas d’influence. Nous avons les accords de Paris, qui sont un succès diplomatique français absolument indéniable, mais malheureusement nous pouvons constater cinq ans plus tard qu’ils n’ont pas empêché les émissions de gaz à effet de serre de croître de manière considérable. Nous assistons aujourd’hui à un phénomène très nouveau qui traduit la responsabilité que certains acteurs croient devoir prendre à l’égard de cette situation concernant la justice sanitaire et climatique. Il y a dans le monde actuellement 1 500 procès de justice climatique. Ce sont des procès dans lesquels des villes ou des ONG demandent aux tribunaux de condamner les États à faire ou à réparer et à changer leurs pratiques.
Les institutions se saisissent également du sujet et une décision très importante (décision n° 2019-823 QPC) vient d’être rendue le 31 janvier 2020 rendue par le Conseil Constitutionnel. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il s’agit d’un arrêt révolutionnaire dans lequel le Conseil constitutionnel a été cherché le préambule de la Charte de l’environnement, où il est inscrit que l’environnement est un patrimoine commun et que le long terme et l’environnement sont des Objectifs de valeur constitutionnelle (OVC). Le long terme et la préservation de l’environnement sont donc reconnus par le Conseil constitutionnel comme des impératifs que le législateur et toutes les juridictions doivent prendre en compte. Cette jurisprudence est une reconnaissance de la responsabilité que nous avons à l’égard du long terme, c’est une prise de conscience des juridictions suprêmes au sein de plusieurs pays. Cela permet de travailler en amont, ce qui est essentiel. La responsabilité arrive quand on a fauté ou que l’on est puni, tout comme la responsabilité civile, la responsabilité administrative ou la réparation des différents préjudices. Utiliser à bon escient la responsabilité environnementale permet ainsi de prévenir et nous pouvons donc essayer dans nos textes d’anticiper en faisant de la responsabilité une priorité.