5 questions à Brigitte Vu, Ingénieur en efficacité énergétique des bâtiments, Enseignant chercheur Département énergie à l’UTBM, Chercheuse Institut FEMTO-ST, Département ENERGIE
Publié leDepuis des années, vous apportez votre expertise sur les questions énergétiques dans le bâtiment, notamment auprès de l’OPECST mais aussi de l’EASME au niveau européen. Comment voyez-vous l’année 2020 ?
Cette année présente de nombreux enjeux pour le secteur, notamment du fait de la publication très attendue de la prochaine réglementation thermique dans le bâtiment, dite environnementale : la RE2020. Nous devrons faire preuve d’une vigilance commune pour que les arbitrages pris et les seuils in fine retenus ne viennent pas bloquer l’innovation notamment. Il faudra également veiller à ne pas promouvoir des bâtis sur-performants dont les coûts seraient trop importants pour être concrètement mis en œuvre sur le terrain. Je pense clairement que nous pouvons mieux valoriser le potentiel des énergies gratuites et aller vers la généralisation des études thermiques dynamiques, notamment dans les bâtiments collectifs et tertiaires. Si des investissements sont nécessaires, il ne faut que pas que ce secteur de la construction neuve – qui ne représente au final que 1% du renouvellement du parc chaque année – se fasse à grands frais. Quand on travaille sur les questions énergétiques dans le bâtiment, la vision terrain et le pragmatisme me semblent deux points essentiels.
Concrètement, quelle vision du bâtiment « de demain » avez-vous ?
Tout d’abord, il faut bien être conscient que ce n’est pas en augmentant le nombre de chèque énergie que l’on va solutionner la précarité énergétique en France, mais en rénovant leurs logements avec un niveau de performance énergétique type BBC rénovation. En interrogeant un bailleur social sur le territoire de Belfort où je suis implantée, j’ai eu retour d’un coût de l’énergie entre 8 à 10€/m2 habitable. Après travaux de rénovation tel qu’indiqué ci-dessus, ce coût tombe à 2€/m2. Ma volonté est d’arriver à 0€ ! C’est en ce sens que j’ai concouru dans le cadre des territoires d’innovation en proposant un projet de construction d’un bâtiment répondant aux attendues de la RE2020 et d’un bâtiment compatible 2050 (atteignant la neutralité carbone). Concrètement, les deux immeubles sont structurellement identiques mais les systèmes énergétiques diffèrent. Le bâtiment RE2020 est équipé de panneaux solaires hybrides et une pompe à chaleur (PAC) ou une chaudière à très haute performance énergétique viendra faire l’appoint. Le bâtiment 2050 vise quant à lui l’autonomie en énergie, en permettant le stockage de l’énergie solaire sous différente forme (Thermique, batteries et hydrogène).
Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière d’atteindre cette autonomie ?
La clé repose sur l’installation de panneaux solaires hybrides, thermiques et photovoltaïques, alimentant des ballons d’eau chaude à stratification parfaite. Le chauffage se fait par le biais de plancher chauffant basse température et l’appoint est apporté par une PAC. Des batteries permettent de stocker l’énergie excédentaire produite mais ne peuvent à elles seules répondre au besoin inter-saisonnier. C’est là qu’intervient l’hydrogène. Du 15 mai au 15 août, le stockage d’énergie se fait donc sous forme d’hydrogène et quand le besoin s’exprime, l’électricité est reformulée via une pile à combustible.
Si l’hydrogène a le vent en poupe, notamment sur la mobilité, on en parle finalement assez peu dans le bâtiment…
En France en effet le choix a été fait de travailler de manière privilégiée sur la mobilité qui est un secteur fortement carboné. Pour autant, je crois pleinement dans la place de ce vecteur dans le bâtiment et le projet détaillé ci-dessus en est la preuve. Au Japon depuis 2009, plus de 100 000 logements sont raccordés installations à l’hydrogène alimentent quotidiennement les besoins des logements. La technologie n’est donc pas un problème et le développement des énergies renouvelables intermittentes va amener à trouver des solutions de stockage et donc à la production d’hydrogène vert puisque la France a un mix électrique très peu carboné. Il y a donc une convergence forte, sachant qu’à termes, l’injection d’hydrogène dans le réseau ne pourra vraisemblablement pas dépasser les 20% en volume dans le réseau national. La production et l’usage in situ, à l’échelle d’un quartier, sont donc des solutions auxquelles nous pouvons réfléchir. De plus, par rapport à la mobilité nécessitant de ramener l’hydrogène à de fortes pressions (700 bars) pour les véhicules légers, l’usage stationnaire nécessite moins d’énergie, pression sortie d’électrolyseur 50 bars et un usage à une centaine de bars) et lors de la reformulation via pile à combustible, cette réaction libère 50% de chaleur qui peuvent être utilisée pour la production d’eau chaude en préchauffage des ballons, voir du chauffage, donc valorisée toute l’année dans le bâtiment.
Alors quel avenir pour cet hydrogène vert dont la production est appelée à grandement se développer ?
Cette production est un enjeu majeur pour la France. L’attente est de le produire par électrolyse de l’eau avec un stockage à l’échelle d’un quartier ou au pied d’un champ de production (solaire, éolien). C’est exactement ce que nous allons faire sur le territoire de Belfort qui présente un intérêt fort puisque la consommation d’hydrogène a été évaluée à plus de 200 kg par jour. La viabilité du projet est donc là et la future station, basée sur un électrolyseur de 1 MW PEM, sera avant tout dimensionnée en fonction des usages futurs. Cela permettra de répondre tant aux besoins de l’industrie (livraison du H2 en bouteille) qu’à la mobilité (bus et véhicules légers) mais également aux usages stationnaires dans le cadre de la construction du démonstrateur TH si besoin. La valeur ajoutée du projet tient véritablement dans cet échelon territorial qui trouve pleinement sa place au sein d’un éco-quartier ou encore d’une zone industrielle. Cet écosystème vertueux qui va être mis en place, permet d’assurer une production au plus près des usages. L’enjeu principal est désormais de massifier ces projets pour faire baisser le coût de production et de stockage de l’hydrogène qui restent encore un frein. Mais je suis optimiste ; le coût des batteries a été divisé par 8 depuis les premiers modèles et de nombreuses start-up travaillent sur ce sujet en France pour proposer une offre intégrée de production via électrolyseur, stockage et régénération par pile.
Mieux connaître Brigitte Vu
Ingénieur en efficacité énergétique des bâtiments, Brigitte Vu est enseignant chercheur au Département énergie à l’Université du Territoire de Belfort Montbéliard (UTBM) en charge des 4ème et 5ème années. Elle est rattachée, sur le volet recherche, à l’Institut FEMTO-ST au sein du département ENERGIE. Expert bâtiment depuis 2009 pour l’OPECST, elle fait également, au niveau européen, bénéficier l’EASME de son expertise depuis le 1er janvier 2020. Travaillant aux côtés des parlementaires et de l’administration en amont des projets de loi, Brigitte Vu accompagne également les auditions menées par l’OPECST, comme par exemple le rapport remis suite à l’adoption RT2012 visant à questionner sur l’impact de cette réglementation dans l’innovation. Elle a récemment accompagnée la Secrétaire d’Etat, Emmanuelle Wargon, dans son déplacement en Nord Isère et est en contact régulier avec l’ensemble des acteurs engagés dans la transition énergétique dans le bâtiment, y compris au niveau européen (Club des entrepreneurs suisses, 450 dirigeants). Brigitte Vu s’intéresse plus particulièrement ces derniers mois aux usages stationnaires de l’hydrogène dans les bâtiments et se dit ouverte à toute personne sollicitant son expertise.