3 questions à Emmanuelle WARGON, Présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)

Publié le
Observatoire des solutions | Débat d’idées | 3 questions à Emmanuelle WARGON, Présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)

Emmanuelle Wargon était l’invitée d’honneur du club « Une Energie d’Avance » de Coénove, le 4 avril 2023. Elle partage sa vision sur 3 questions majeures que nous lui avons posées.

Pourriez-vous en quelques mots nous rappeler les grandes missions de la CRE ?

La Commission de régulation de l’énergie (CRE), est une autorité administrative indépendante française dont la création en 2000 est issue de la volonté des Etats-membres de l’Union européenne de fonder un marché homogène de l’énergie à l’échelle communautaire.

Elle est chargée de réguler les secteurs de l’électricité et du gaz qui se sont profondément transformés depuis plus de vingt ans, tant les marchés de détail et de gros, que les réseaux de transport, de distribution, les terminaux méthaniers et les stockages, sans oublier les moyens de production et les incitations à la maitrise de la consommation. Elle s’attache particulièrement à concilier trois objectifs majeurs : la protection des consommateurs, la sécurité d’approvisionnement et la transition énergétique.

Début janvier 2023, quatre mois après mon arrivée à la CRE, nous avons publié une feuille de route stratégique pour les années 2023 et 2024 qui fixe les priorités tant pour l’interne, le collège de la CRE et ses services, que pour l’ensemble des parties prenantes du secteur. Cette feuille de route est publique sur le site de la CRE.

Quelle est votre vision prospective du mix énergétique de demain, un secteur en pleine évolution ?

En 2050, notre mix énergétique aura largement évolué pour répondre aux objectifs climatiques.

Cette transformation s’effectuera principalement par la fin des énergies fossiles qui représentent encore les deux tiers de notre consommation énergétique.

C’est un défi majeur. Pour le surmonter, nous disposons de plusieurs outils. Le premier est celui de la baisse globale de la consommation, d’environ 50%, qui pourra être atteint par :

  1. 1/ un effort de sobriété, effort qui s’est produit l’hiver dernier et qu’il est nécessaire de soutenir dans la durée
  2. 2/ la rénovation énergétique des bâtiments
  3. 3/ des procédés énergétiques plus efficients

Le deuxième outil pour réussir est celui d’une électrification globale des usages, l’exemple le plus parlant étant celui des transports. Dans un scénario de réindustrialisation de notre pays, la consommation électrique devrait croître jusqu’à 60%. C’est pourquoi, il faut définitivement en finir avec l’opposition entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables électriques. Le seul objectif qui compte réellement est la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Et pour y parvenir en se donnant le maximum de chances, il faut accroître la production de toutes les énergies électriques décarbonées ainsi qu’innover pour faire émerger de nouvelles filières ou de nouveaux usages, je pense particulièrement aux énergies marines et à l’autoconsommation.

Au-delà de l’électricité qui ne pourra pas à elle seule régler tous les défis, le gaz vert, la chaleur décarbonée, le vecteur hydrogène, seront précieux pour atteindre nos objectifs de décarbonation et de souveraineté lorsqu’il s’agit des choix les plus efficaces pour la collectivité. C’est une conviction, la complémentarité des énergies fera partie de la réponse au défi de la transition énergétique.

Enfin, ma vision du mix énergétique de demain insiste beaucoup sur l’importance de nos infrastructures de réseaux. Entre la production et la consommation, ils sont le liant indispensable qui permet à notre système énergétique de fonctionner. Eux aussi vont connaître des transformations importantes dans les prochaines décennies : multiplication des points d’injection, flexibilité de la production, inversion des flux, numérisation, baisse de la consommation pour les réseaux gaziers, autant d’enjeux pour lesquels les gestionnaires de réseaux seront accompagnés par la CRE.

Quelles sont les grandes conclusions de votre rapport sur l’avenir des infrastructures gazières ?

La CRE a publié début avril un rapport sur l’évolution des infrastructures gazières aux horizons 2030 et 2050. Cette étude, réalisée avec l’appui des gestionnaires de réseaux et des entreprises locales de distribution, s’inscrit dans le cadre des travaux sur la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie et a l’ambition d’apporter un éclairage au débat.

Concrètement, la CRE s’est intéressée à l’évolution des infrastructures gazières selon trois scénarios équilibrés entre la production et la consommation, le premier à 165 TWh, le deuxième à 245 TWh et le dernier à 320 TWh. Elle a également pris en compte le paradoxe que vont connaître les réseaux gaziers ces prochaines années, d’un côté se renforcer pour accueillir une production locale de gaz verts, et de l’autre, faire face une baisse de la consommation globale.

Une fois le cadre fixé, quelles ont été les conclusions de l’étude ? En premier lieu, si on s’intéresse au réseau de transport, l’étude détermine qu’à horizon 2050, le réseau de transport nécessitera des investissements de l’ordre de 6 à 9,7 milliards d’euros, c’est-à-dire un investissement annuel de 200 à 300 millions d’euros, ce qui reste raisonnable au regard des coûts d’investissement actuels qui s’élèvent à 1,3 milliard d’euros chaque année. Le deuxième constat est le suivant : malgré une baisse générale de la consommation, le réseau de transport et nos terminaux méthaniers resteront en très grande partie nécessaires, aussi bien pour assurer l’équilibre offre-demande à la maille nationale, que pour préserver le rôle central de la France dans le système gazier européen. Seuls 3 à 5% des canalisations de transport seraient « libérables » d’ici 2050.

Le même constat peut être réalisé pour le réseau de distribution à l’échelle nationale. En revanche, selon les particularités locales, certaines canalisations pourraient être abandonnées. L’étude démontre à partir d’exemples concrets à Grenoble ou au Havre que ces choix devront être réalisés en complémentarité avec les stratégies locales en matière de réseaux de chaleur.

L’évolution des stockages a également été inclue dans le champ de l’étude. Il apparaît que ces derniers seront de plus en plus orientés par les besoins lors des pics de consommation. En complément, si le besoin de l’intégralité des stockages se pose dans le futur, l’étude appelle à ne prendre aucune décision avant 2030.

Enfin, l’enjeu de l’hydrogène et de la transformation de certaines infrastructures, dont les stockages, est apparu pendant l’étude sans pour autant entrer dans son champ. Un deuxième volet spécifique à ce sujet sera réalisé par la CRE.

Vous pourriez être intéressé par :

  • L’Union Sociale pour l’Habitat (USH) rejoint l’association Coénove

  • Participation de Coénove aux 21es Rencontres pour l'Énergie