REGARDS CROISES : Christian de Perthuis/Bernard Aulagne

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Ce mois-ci, c’est Christian de Perthuis, Professeur d’Économie à l’Université Paris-Dauphine et directeur scientifique de la Chaire Economie du Climat qui se prête aux regards croisés de Coénove.

Il revient sur les enjeux climatiques du prochain quinquennat et son approche d’une politique énergétique permettant pleinement d’y répondre.

Une politique volontariste Energie-climat pour le prochain quinquennat nécessite de prendre des mesures dès le début de mandat. Quelles seraient pour vous les principales ?

Christian de Perthuis : La question de l’efficacité énergétique est cruciale. Notre priorité est de supprimer les multiples gaspillages énergétiques et d’insérer notre ambition climatique dans notre fiscalité. Tout d’abord, sur le plan interne, il convient d’aligner la fiscalité du diesel et de l’essence en supprimant les avantages accordés au diesel. Nous devons aussi accélérer la montée en charge de la taxe intérieure sur le carbone. Enfin, il est de notre responsabilité de convaincre nos partenaires européens de procéder à une refonte drastique du système d’échange de quotas de CO2. Cela implique des compromis sur la redistribution de cette fiscalité écologique. Je propose pour cela un système très simple permettant d’éviter un gonflement des prélèvements obligatoires qui serait néfaste pour l’économie : la création d’un impôt vert entraîne la suppression d’un autre impôt non écologique. Les modes de redistribution devraient être l’enjeu réel du débat entre les différentes familles politiques.
Bernard Aulagne : Il est impératif de préserver un mix énergétique diversifié, certes de plus en plus décarboné, mais surtout à même d’assurer la sécurité d’approvisionnement de la France à tout moment. Juste quelques chiffres qui attestent de l’acuité du problème : le 20 janvier dernier, jour le plus froid de cet hiver, les besoins du pays à satisfaire à la pointe se sont élevés à 320 GW, couverts à hauteur de 30% par l’électricité (avec un système électrique très tendu) et plus de 50% par le gaz. Nucléaire, énergies renouvelables et gaz sont indispensables.

 

Quelle application concrète dans le bâtiment pour cette politique ?

Christian de Perthuis : La première des actions collectives à mener est celle de l’efficacité énergétique, notamment dans les bâtiments publics. Il faut pour cela mettre en place des incitations économiques. La grande majorité des travaux sont faits pour des raisons de confort, le facteur énergétique étant considéré comme secondaire. Un point de tension pour les travaux de ce type est la relation entre propriétaire et locataire. Entre 1990 et 2015, l’Allemagne a divisé par deux ses émissions de CO2 dans le bâtiment alors que la France est toujours au niveau des années 90.
Bernard Aulagne : La France se situant déjà à un haut niveau de performance énergétique dans la construction neuve grâce à la RT2012, il convient d’accorder toute la priorité à la rénovation énergétique du parc. Pour ce faire, il faut soutenir l’activité en fléchant les aides vers les travaux le plus performants, ce qui permettra une véritable réduction de la facture énergétique. Il faut également accompagner le développement de produits innovants pour améliorer la performance énergétique et mieux piloter nos consommations dans la durée.

 

Et quelle place pour le gaz dans tout cela ?

Christian de Perthuis : Nous tendons vers des usages énergétiques très diversifiés pour lesquels nous devons mettre en place un mix énergétique sans opposer les énergies entre elles. Il s’agit de trouver les bonnes complémentarités. Je considère qu’il y a différentes sources de gaz et que les implications géopolitiques et environnementales varient entre chacune d’elles. Les gaz naturels acheminés par tuyau sont ceux qui ont l’impact carbone le moins élevé. Ceux par liquéfaction nécessitent des opérations plus coûteuses en énergie. Ensuite, il y a le gaz de schiste, pour lequel la vision ne doit pas être dogmatique. Actuellement, son extraction aux États-Unis, qui déroge à la législation, a un bilan environnemental très négatif. Le coût de celui-ci n’est pas intégré dans son prix. Enfin, le biogaz est particulièrement intéressant. Nous ne sommes pas encore assez performants compte tenu de notre potentiel.
Bernard Aulagne : Le gaz est essentiel pour assurer la sécurité d’approvisionnement de notre mix énergétique à court terme, mais surtout, il faut accélérer sa mutation vers un gaz local et renouvelable. Coénove demande donc le lancement d’une véritable stratégie nationale gaz renouvelable, à l’instar de la stratégie biomasse. Les pouvoirs publics doivent s’emparer de cet enjeu que représente le gaz renouvelable, l’émergence d’une filière française dynamique étant possible. Le développement de l’hydrogène est aussi à entreprendre, car il s’agit d’un excellent moyen de récupérer des excédents des énergies renouvelables.
Ce sont ensuite les territoires, véritable cheville ouvrière de la transition énergétique et du développement du gaz renouvelable, qui prendront le relai. Il faut donc valoriser leurs actions et poursuivre une fiscalité énergétique leur donnant les moyens nécessaires à faire de cette transition énergétique une réussite.