4 questions à Madeleine Alphen, Déléguée Générale du Club Pyrogazéification de l’ATEE

Publié le
Observatoire des solutions | Débat d’idées | 4 questions à Madeleine Alphen, Déléguée Générale du Club Pyrogazéification de l’ATEE

1/ La pyrogazéification est une technologie de production de gaz renouvelable que l’on compare souvent à l’incinération ou à la combustion. A tort ou à raison ?

Cette comparaison fréquente vient du fait que, comme l’incinération pour les déchets et la combustion pour la biomasse, les procédés de pyrolyse[1] et de gazéification[2] sont des traitements thermiques. Cependant, il est primordial d’en comprendre les différences, car c’est dans celles-ci que résident certains des principaux atouts de la pyrogazéification !

La pyrogazéification est un traitement thermochimique qui permet, en absence ou défaut d’oxygène, de convertir des matières organiques relativement sèches (biomasses ligneuses – connexes de scieries, bois en fin de vie, résidus de cultures, etc.) mais aussi des déchets divers (CSR, pneus usagés, boues de STEP séchées, etc.) en composés énergétiques, qui se présentent selon les procédés sous forme solide, liquide ou gazeuse (gaz de synthèse ou syngaz) et qui gardent leur potentiel énergétique pour une utilisation ultérieure. Ainsi, la pyrolyse/gazéification est la conversion d’une ressource en une autre forme plus facilement exploitable alors que, dans un procédé d’incinération ou de combustion, cette ressource est directement valorisée sous forme de chaleur.

Cette étape de conversion de la matière en composés énergétiques confère aux installations de pyrogazéification une grande flexibilité opérationnelle, la possibilité d’ajouter une étape de purification des produits avant leur valorisation (diminution des émissions de polluants) et ouvre la voie à une multitude de modes de valorisation (thermique, électrique, production de molécules à forte valeur ajoutée : méthane injectable dans les réseaux, hydrogène, biocarburant, biochar, etc.).

Autre différence majeure vis-à-vis de l’incinération de déchets : la filière de pyrogazéification se positionne sur des ressources homogènes, préparées et à fort pouvoir calorifique. Les échelles visées sont également différentes : on envisage un développement d’unités de pyrogazéification sur des petites ou moyennes capacités (traitant moins de 10 000 tonnes de déchets triés par an), cohérentes avec des rayons d’approvisionnement local. On est donc loin des capacités des incinérateurs, qui doivent traités plusieurs centaines de milliers de tonnes de déchets par an (déchets qui sont en mélange et ne font pas l’objet d’une préparation spécifique préalable).

Pour résumer, la pyrogazéification permet la production d’une énergie renouvelable non intermittente, facilement stockable et transportable. Son caractère modulable permet une adaptation facilitée aux ressources et besoins des territoires, le développement de nouveaux modèles d’économie circulaire ou encore la mise en place d’une production décentralisée de gaz renouvelable injectable dans les réseaux.
 

2/ Comment se situe cette filière émergente par rapport à la méthanisation ?

Comme la pyrogazéification, la méthanisation permet de transformer la matière organique en un composé énergétique (le biogaz), dans ce cas par le biais de bactéries. Une fois purifié, le biogaz est facilement valorisable en cogénération ou injecté dans les réseaux : on retrouve le fonctionnement en deux étapes sur lequel repose également la pyrogazéification et qui confère à ces filières leurs caractères de flexibilité, d’adaptabilité et de pilotage !

Les filières de pyrogazéification et de méthanisation sont complémentaires en termes de ressources, la méthanisation traitant des matières fermentescibles souvent humides et la pyrogazéification des biomasses (ou déchets) lignocellulosiques et autres matières carbonées sèches. Pour profiter de ces complémentarités, des synergies sont à l’avenir envisageables entre ces filières. La valorisation des digestats issus de méthanisation par gazéification est par exemple à l’étude et pourrait s’avérer utile dans des contextes de retour au sol difficile afin d’optimiser la conversion de la matière carbonée en gaz.

 

3/ A quel type de projets ou de porteurs de projet s’adresse prioritairement la pyrogazéification ?

Grâce à leur grande flexibilité, que ce soit en termes d’intrants, de capacités ou de modes de valorisation, les procédés de pyrogazéification peuvent être intégrés dans divers écosystèmes. Ils s’adressent notamment aux producteurs et gestionnaires de ressources en recherche d’exutoires pour leurs sous-produits (biomasses ligneuses, déchets d’activités – résidus agricoles ou bois B, déchets préparés – CSR, etc.) : les composés énergétiques produits peuvent alors être valorisés sur place en autoconsommation ou être revendus, apportant ainsi un complément de rémunération aux acteurs devenus producteurs. La pyrogazéification peut aussi s’adresser à des industriels afin de remplacer leurs usages fossiles dans des procédés à haute température difficilement « électrifiables ».

 

4/ Quelles sont les perspectives d’évolution de cette filière en France ?

Les voies de développement de la filière sont multiples. A court terme, on envisage l’émergence d’installations de capacités modestes, permettant de valoriser des ressources locales, d’encourager la dynamique et l’indépendance énergétique des acteurs des territoires et de créer de nouveaux modèles d’économie circulaire.

Concernant la production de méthane de synthèse injectable en réseaux, les premiers retours sur des démonstrateurs français (notamment GAYA, porté par Engie) seront livrés cette année. Ils permettront de démontrer la maturité technologique de cette filière et d’engager son déploiement à grande échelle après 2023 pour contribuer à atteindre 10% de gaz d’origine renouvelable dans les réseaux à l’horizon 2030. Selon les scénarios [3] , la pyrogazéification pourrait représenter en 2050 un potentiel de production de 40 à 147 TWh, devenant ainsi une brique majeure du verdissement du gaz. Ce développement dépendra bien sûr de la mise en place de mécanismes de soutien par les pouvoirs publics et notamment d’un complément de rémunération sur le gaz de synthèse injecté dans les réseaux.

 

Présentation rapide du Club Pyrogazéification

Association de professionnels créée en 2014, le Club Pyrogazéification a rejoint l’ATEE[4] fin 2019 afin de renforcer ses activités de structuration et d’animation de l’écosystème français. Il rassemble plus de 80 membres, dont les principaux acteurs du gaz, de la gestion des déchets, de nombreuses start-ups, des bureaux d’étude, des laboratoires de recherche et des collectivités locales.

Son objectif principal est de favoriser l’échange des retours d’expérience et la collaboration entre ses membres afin de convaincre le grand public et les institutions de l’intérêt de cette filière comme moteur de la transition énergétique des territoires. Force de proposition auprès des pouvoirs publics, le Club œuvre pour l’élaboration d’un cadre réglementaire favorable à l’émergence de nouveaux projets.

 


[1] La pyrolyse est un traitement thermique de la matière organique sèche, en l’absence d’oxygène, produisant une phase gazeuse (« gaz de synthèse » ou « syngaz »), une phase liquide (huile) et une phase solide (char).

[2] La gazéification est une pyrolyse suivie d’un processus de transformation des phases non gazeuses en gaz de synthèse par ajout d’une petite quantité d’un agent oxydant (air, oxygène, vapeur d’eau ou gaz carbonique).

[3] Un mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 ? – Étude de faisabilité technico-économique – ADEME (2018)

[4] Association Technique Energie Environnement