L’ENTRETIEN COENOVE : Madeleine Charru, Directrice de Solagro, Vice-Présidente du CLER et personnalité associée au CESE

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En tant que personnalité associée aux travaux de la section environnement du CESE, vous avez porté en début d’année un rapport tirant un bilan mitigé sur la mise en œuvre de la Loi de Transition énergétique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

En effet, le bilan des deux premières années d’application de cette loi n’est pas optimal, nous ne nous inscrivons pas du tout sur les trajectoires voulues pour atteindre les objectifs fixés par la loi en matière de diminution des consommations d’énergie, de réduction des gaz à effet de serre et de part des renouvelables dans notre consommation énergétique. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté en 2015 et 2016, les objectifs annuels de rénovation des logements pourtant fixés depuis la loi Grenelle sont loin d’être atteints et la France reste un des pays les plus en retard pour le déploiement des énergies renouvelables au niveau européen. Il apparaît que les moyens mis au service de la transition sont très insuffisants : les moyens financiers évidemment, mais aussi les moyens organisationnels et humains pour assurer un pilotage et un suivi efficace des actions à mettre en œuvre.

 

Pour autant, il semble qu’une vraie volonté se dessine dans les territoires. Comment ces derniers peuvent-ils engager la transition ?

La loi de transition énergétique donne une place centrale aux territoires pour mettre en œuvre la transition et ce sont effectivement eux qui sont à même de mobiliser les gisements d’économie d’énergie et de valoriser les potentiels d’énergies renouvelables répartis sur tout le territoire national. Les territoires ont bien compris l’intérêt de cette nouvelle mission qui, au-delà des objectifs énergie/climat, est source de création ou de conservation de valeur pour les territoires, de développement local et de cohésion territoriale. Les pionniers du réseau des territoires à énergie positive (TEPos) en témoignent clairement aujourd’hui. Les nombreux candidats à l’appel à projet TEPCV (territoires à énergie positive pour la croissance verte) ne s’y sont pas trompés en dépit du caractère quelque peu précipité et éphémère du dispositif. La plupart des régions, cheffes de file du dispositif, conduisent des politiques encourageantes voire ambitieuses pour celles qui s’engagent à devenir région à énergie positive (RePos), comme la région Occitanie ou la région Bourgogne Franche-Comté. Mais, si la volonté politique est primordiale, les moyens mis pour atteindre les objectifs fixés sont essentiels. Or, les collectivités n’ont pas été dotées de moyens supplémentaires pour assurer ces missions et on peut même redouter que, dans le contexte de rigueur budgétaire qui prévaut, elles aient du mal à poursuivre leurs actions.

 

La question des moyens et notamment financiers est effectivement souvent mise en avant pour expliquer le retard pris dans la transition. Quelle est votre analyse ?

D’une façon générale les moyens financiers publics et privés engagés pour la transition sont insuffisants. Les travaux menés par I4CE[1] montrent que les besoins d’investissements pour atteindre les objectifs fixés dans la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) et la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) sont, a minima, égaux au double des investissements observés en 2016 et 2017. L’écart est particulièrement criant en matière de rénovation des logements et des bâtiments tertiaires, du développement de réseaux de chaleur et de véhicules bas carbone.

Les financements publics, qui ne représentent qu’un tiers des investissements générés, doivent donc être doublés et fléchés vers les collectivités territoriales reconnues comme les acteurs clefs de la transition. Le CESE, a l’instar des associations de collectivités et de plusieurs ONG dont le CLER-réseau pour la transition énergétique, propose d’affecter une part de la Contribution Climat Energie (CCE) aux différents niveaux de collectivités pour les aider à financer leurs engagements en la matière : rénovation des passoires thermiques, mise en œuvre du SPPEH (Service Public de la Performance Energétique de l’Habitat) inscrit dans la LETCV et indispensable à l’accompagnement des projets de rénovation des logements particuliers ou collectifs, investissements dans les transports collectifs et les mobilités moins consommatrices et moins émissives, sans oublier le développement des énergies renouvelables.

Notons que pour être efficace l’engagement des collectivités ne doit pas se limiter aux investissements traditionnels, les investissements en ingénierie territoriale, conseils et accompagnement, formation professionnelle sont tout aussi productifs qu’indispensables.

Enfin, à l’échelle des territoires, comme au niveau national et de façon harmonisée, il conviendrait de se doter d’outils commun pour prévoir, suivre, évaluer, ajuster et s’assurer, par exemple, que la somme des objectifs des 13 schémas régionaux (SRADDET) est bien en cohérence avec ceux des exercices nationaux en cours de finalisation : programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et stratégie nationale bas carbone (SNBC).

 

Une voie d’intérêt pour les territoires semble passer par le développement des énergies renouvelables, avec entre autre le gaz au travers de la méthanisation. Y a-t-il là une piste pour réconcilier agriculture et environnement et si oui comment l’encourager ?

En matière de production d’énergie, il est effectivement important de souligner que la transition énergétique n’est pas seulement la transition électrique qui occupe le devant de la scène du fait du poids de la filière électro-nucléaire dans notre pays. Les territoires doivent veiller au déploiement d’un vrai mix énergétique valorisant la diversité des ressources et organiser la complémentarité des vecteurs énergétiques pour satisfaire nos besoins qui sont, rappelons le, pour 50% des besoins de chaleur pour lesquels les vecteurs les moins flexibles doivent être utilisés en priorité (bois, géothermie, …), pour 35% des besoins de carburants où le vecteur gaz est appelé à prendre une place importante et pour seulement 15% des besoins d’électricité spécifique.

Le développement de la production de gaz renouvelable via la méthanisation, entre autre, doit donc être encouragé. Il s’agit en effet d’une filière à dividendes multiples : gestion des effluents d’élevage et des déchets fermentescibles du territoire, outil d’optimisation agronomique (fertilisation, évolution des rotations et des productions vers des systèmes plus agroécologiques), production d’une énergie renouvelable multi-usages susceptible d’être injectée et stockée dans le réseau de gaz naturel. Une bonne façon de l’encourager est de commencer par établir un schéma de développement territorial pour déterminer les potentiels et les conditions dans lesquelles la biomasse du territoire est mobilisable et valorisable sous différentes formes, en évitant de mettre les projets en concurrence. Ensuite, en fonction du contexte local, des politiques adaptées pourront être mises en œuvre pour soutenir la structuration des filières, définir des règlements d’intervention, faciliter l’accès aux financements, etc…

D’une façon générale, le secteur de l’agriculture et de l’alimentation responsable, de la fourche à la fourchette, représentant un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre et un quart de nos consommations d’énergie, doit être mieux pris en compte qu’il ne l’a été jusque-là pour tout à la fois fixer des objectifs de réduction des émissions et utiliser au mieux les capacités de stockage de carbone des sols et de la phytomasse. Les territoires ont là aussi une carte à jouer pour mobiliser consommateurs et producteurs dans le cadre de plan alimentaires territoriaux (PAT) et accompagner les nécessaires transitions.


[1] I4CE, Panorama des financements climats , 2017