3 questions à Benjamin Haas, Directeur Régulation France du Groupe Engie
Publié leInvité d’honneur du Point Rencontre des membres de Coénove le 10 décembre dernier, Benjamin Haas, Directeur Régulation France du Groupe Engie, a répondu à nos questions.
Il nous partage, à cette occasion, la vision du groupe pour atteindre les ambitieux objectifs européens du « Net Zéro Carbone en 2050 » et nous explique le rôle clé des gaz verts dans le mix énergétique français.
Engie a publié le 12 novembre 2024, son scénario de décarbonation de l’Europe à horizon 2050. Quels sont les principaux leviers identifiés dans ces scénarios pour atteindre les objectifs ambitieux du « Net Zéro Carbone en 2050 » ?
Tout d’abord, atteindre la neutralité carbone en 2050 n’est pas une option pour ENGIE. Notre enjeu est de définir le chemin pour y parvenir. Ce chemin existe et il est économiquement praticable. ENGIE a pour ambition d’être leader de la transition énergétique, c’est pourquoi nous ne faisons pas qu’éclairer les chemins de la décarbonation possible, mais nous nous l’appliquons à nous-même avec encore plus d’ambition : nous visons la décarbonation de nos activités, tous scopes confondus, à l’horizon 2045. Nos équipes sont pleinement mobilisées pour atteindre ces objectifs.
Plusieurs leviers sont à mobiliser. Il est illusoire de penser qu’une solution miracle, unique et simple, permettra de réussir la transition énergétique, et ceci pour au moins deux raisons. D’une part, la consommation énergétique est un objet complexe. Entre le chauffage, la mobilité ou les activités industrielles, les besoins en termes de densité énergétique, en termes transport de l’énergie ou d’équilibre offre-demande à tout instant sont très divers. D’autre part, 2050, c’est dans 25 ans. C’est à la fois long et court. Court car a priori, nous ne verrons pas émerger de technologies auxquelles personne n’a pensé, long car de nombreuses technologies doivent encore atteindre leur pleine maturité, et il peut également y avoir des échecs. Qu’est-ce que cette diversité et cette incertitude nous dit ? qu’il faut diversifier ! Diversifier d’un point de vue du mix énergétique, diversifier d’un point de vue industriel.
C’est pourquoi ENGIE est convaincu que la neutralité carbone s’appuiera sur trois grands principes. Le premier, c’est la diminution de la demande énergétique, que ce soit via la sobriété ou l’efficacité énergétique. Ensuite, c’est la diversité du mix énergétique, nous aurons besoin autant d’électrons que de molécules. Enfin, c’est la flexibilité : batteries, effacements, centrales thermiques décarbonées sont autant d’indispensable pour réussir. Et ENGIE est présent sur l’ensemble de ces secteurs.
Dans le domaine spécifique du bâtiment, l’électricité et le gaz, décarbonés, seront les piliers de la transition du chauffage et de la production de froid. Plusieurs vecteurs énergétiques seront alors utilisables, que ce soit l’utilisation directe de l’électron et de la molécule dans le logement (chaudières biogaz, PAC Hybride, PAC tout électrique,…) jusqu’à des systèmes plus déportés et centralisés comme les réseaux de chaleur. L’électrification des usages est un levier, un levier absolument fondamental, mais il n’est pas le seul.
Cette transition nécessitera des investissements massifs dans les infrastructures et les technologies, quels mécanismes proposez-vous pour répartir ces coûts entre les différents acteurs et comment garantir que cela reste accessible pour les consommateurs finaux ? »
Avant de parler financement, il convient de définir de quoi on parle. La scénarisation de la transition énergétique d’ENGIE cherche les options les moins coûteuses. Et émerge une conclusion qui peut surprendre : l’électricité sera moins chère de 10% en Europe à horizon 2050 par rapport à aujourd’hui, et ce grâce aux technologies de production d’électricité renouvelable. L’enjeu du financement est d’emblée bien plus facile à porter lorsqu’on en tire un bénéfice ! Attention toutefois, cette conclusion n’est pas valable partout en Europe. Si cette dynamique baissière est portée par les technologies renouvelables dont les coûts sont maîtrisés, on ne la retrouvera pas forcément en France compte tenu des spécificités du système énergétique national. Ce choix du mix énergétique relève de la politique publique, qui doit effectivement s’accompagner d’une stratégie de financement en conséquence.
L’électricité fera à terme environ 50% des usages. C’est beaucoup plus qu’aujourd’hui, la marche est importante, mais les 50% restant méritent au moins autant d’attention. On y trouve en particulier les gaz verts. Aujourd’hui, le gaz vert, comme les renouvelables électriques, est subventionné. L’Etat prend donc à sa charge le surcoût par rapport au gaz naturel. Or un nouveau mécanisme voit le jour sur le biométhane, dit des Certificats de Production de Biométhane (CPB). Celui-ci obligera les fournisseurs de gaz à incorporer une part de gaz vert dans leurs offres à destination des bâtiments. Nous avons donc un panachage entre aide budgétaire et dispositif dit « extra-budgétaire » qui ne pèse pas sur les finances de l’Etat. L’enjeu à venir sera l’équilibre entre les deux types d’approches qui sont complémentaires.
Les gaz verts, comme le biogaz et l’hydrogène renouvelable, joueront un rôle croissant dans le mix énergétique de demain. Quels défis restent à surmonter pour leur intégration à grande échelle, et comment Engie envisage-t-elle d’y contribuer ? »
Il y a d‘abord un enjeu de coût. Tant qu’on parle de subvention, c’est qu’il faut baisser les coûts. Le biogaz et en particulier le biométhane a plusieurs cordes à son arc pour réduire l’écart avec le prix du gaz naturel. D’une part, les méthaniseurs, dans lesquels on produit le biométhane, produisent également du digestat, et du CO2 biogénique. Or ces deux produits ne sont pas valorisés économiquement aujourd’hui. Le digestat remplace des engrais de synthèse (qui eux-mêmes dépendent des énergies fossiles), le CO2 biogénique a une valeur dans la production de carburants de synthèse, indispensable à la transition énergétique (pour l’aviation ou le maritime). Or aujourd’hui, c’est le biométhane seul qui paie l’activité de méthanisation. C’est un choix, choix qui s’explique complètement étant donné le contexte économique et industriel dans lequel émerge des méthaniseurs, mais il est légitime de l’interroger. Il y a également un enjeu de taille des méthaniseurs. Les petites unités de méthanisation sont plus chères, mais sont très pertinentes pour certains territoires. Parfois, il faut plus gros, et l’effet d’échelle permet de réduire les coûts. Or la France garde une forme de défiance pour les projets de taille plus importante. Nous le disons, nous pouvons faire des plus gros projets en France qui sont vertueux, et acceptés et souhaité par les territoires !
Notre entité Gaz Renouvelables Europe a des ambitions européennes pour la production de biométhane. En France, ENGIE opère environ 800GWh/an de production aujourd’hui. Nous renforçons notre développement sur le segment de la méthanisation dite territoriale (40-100 GWh/an de production annuelle par unité) pour profiter d’effets d’échelle. Encore faut-il que les freins au développement de la méthanisation soient levés, notamment sur la question de l’accès au foncier relatif à la loi ZAN.
Une fois le défi du coût surmonté, reste le sujet de l’adéquation entre la production et la consommation. Aura-t-on assez de gaz verts ?
Oui, mais ENGIE est convaincue qu’il faut réduire notre consommation de gaz. Il faut rénover les bâtiments, installer des systèmes énergétiques plus performants. En particulier, nous croyons au développement des PAC Hybrides et de l’hybridation partout où c’est possible, car ces technologies utilisent le gaz quand il a le plus de valeur : pendant les pointes de demande. La valeur du gaz réside aussi dans sa flexibilité : stockable et appelable sur demande dans des volumes importants, il continuera à apporter une valeur flexibilité fondamentale au système énergétique dont nous ne devons pas nous passer. Ou alors accepter une transition énergétique beaucoup plus coûteuse !