3 questions à Nicolas Goldberg, Responsable Energie de Terra Nova

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Alors que le projet de loi Souveraineté Energétique semble repoussé vers la fin de l’année 2024 avec de réelles incertitudes sur son contenu, Coénove a rencontré Nicolas Goldberg, expert énergie chez Terra Nova, pour décrypter cette actualité et partager sa vision des défis à relever.

A l’heure où le projet de loi Souveraineté Energétique voit ses objectifs programmatiques disparaître et sa publication retardée, quel regard portez-vous sur l’importance d’un débat parlementaire sur le sujet ?

Il est très inquiétant de voir le débat parlementaire sur la programmation à nouveau repoussé alors qu’une loi était déjà attendue pour mi-2023. En effet, la loi relative à l’énergie et au climat adoptée en novembre 2019 a créé l’obligation de faire adopter une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) qui devra fixer les grands objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Nous avons déjà 8 mois de retard sur le calendrier alors que ces textes sont essentiels pour la stratégie climatique de la France et sont aujourd’hui bloqués par l’absence de programmation énergétique au niveau législatif.

Non seulement la France ne peut légalement rester sans cette programmation énergétique, mais les objectifs définis au code de l’énergie sont devenus obsolètes compte tenu du relèvement de l’ambition climatique française. Certes, il existe un Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE) qui fixe des objectifs, mais si nous voulons structurer des filières industrielles, il est nécessaire de donner de la visibilité et des perspectives par nature plus fiables lorsque celles-ci sont placées le plus haut possible dans la hiérarchie des normes. Il y a par ailleurs un risque de contentieux de type « Grande Synthe » à ce que nos objectifs climatiques ne soient pas accompagnés d’une mise à jour des moyens à engager.

Il est ainsi plus que nécessaire de remettre cette programmation à l’agenda parlementaire, alors que les parties prenantes de la filière ont déjà été réunies de nombreuses fois lors de la conception de la Stratégie Française pour l’Energie et le Climat (SFEC) qui a donné lieu à plusieurs remises de rapport (le rapport d’experts en fin d’année dernière ou encore celui de la concertation nationale menée l’an dernier pour ne citer que ceux-là…)

En tant qu’expert des prix de l’énergie, quelle est votre vision de l’évolution des grandes tendances à court, moyen et long termes ?

Après la crise énergétique, à court terme, nous allons vivre une période de prix bas en Europe compte tenu du ralentissement économique et du déploiement massif de production électrique bas carbone alors que l’électrification progresse peu. Après 2027, les politiques de réindustrialisation et de production d’hydrogène devraient porter leurs fruits et faire remonter la demande en électricité, ce qui devrait renchérir les prix. Côté gaz, la montée progressive de politiques climatiques devraient également contribuer à évaluer les prix à la hausse, après une période où les prix auront baissé sous l’effet de la baisse du prix du CO2, de la sécurisation des approvisionnements et d’une baisse brutale de la demande.

A plus long terme, conserver des consommations d’énergies fossiles coûtera beaucoup plus cher que de mener la transition, comme cela a pu être le cas avec les boucliers tarifaires pendant la crise énergétique. C’est tout l’intérêt de faire la transition qui nécessitera beaucoup d’investissements. La façon dont tout cela se répercutera sur le consommateur est incertaine : c’est toute la différence entre le coût et le prix. Pour l’électricité, comment répartir équitablement les coûts du réseau entre les consommateurs et les nouveaux producteurs pour qui des adaptations réseaux sont nécessaires ? Qui devra payer le coût des contrats pour différence, aujourd’hui supportés par le budget de l’Etat et autrefois répercuté sur les taxes électriques ?

La même question peut se poser pour le biométhane agricole en valorisant les cobénéfices du digestat ou de la gestion des déchets agricoles. Pour les biogaz issus de la pyrogazéification ou de la gazéification hydrothermale, c’est la logique de financement de l’économie circulaire qui se pose. Qui doit payer pour la production de gaz verts issus de déchets solides ou de la gestion responsables des boues industrielles ? C’est là que nos politiques fiscales mériteraient d’être mises en cohérence avec des politiques climatiques pour être plus incitatives dans la gestion des effluents et la contribution à la production d’énergies décarbonées. Il y a de quoi faire : pour l’heure, le biométhane est taxé de la même façon que le gaz fossile, ce qui est climatiquement incohérent. 

Chez Coénove, nous défendons la complémentarité des énergies et le rôle des gaz verts, énergie des territoires, renouvelable et stockable. Quel est votre avis sur le rôle grandissant que vont jouer les biogaz dans la sécurité d’approvisionnement et la décarbonation du pays ?

Dans une optique de neutralité carbone, la part de l’électricité dans notre mix énergétique devra doubler en passer d’un quart de notre énergie à la moitié d’ici 2050 : c’est déjà un défi en soi et c’est sous condition de réussite de nos objectifs de rénovations des bâtiments. Cela veut dire qu’au moins la moitié de notre énergie viendra à terme d’autre chose que l’électricité.

Le biométhane agricole représente déjà l’équivalent de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-eaux, ce qui est un bon début et montre le potentiel de ce vecteur énergétique. Il faudra multiplier la production par cinq d’ici 2030, alors que la filière va faire face à un trou d’air de deux ans en raison de l’absence de mise à jour à la hausse de ses objectifs. Il est aussi nécessaire de commencer la production d’autres biogaz pour pouvoir aller au-delà du seul biométhane agricole.

Il y a ainsi un potentiel et une place pour les gaz verts à l’avenir. La consommation de gaz aura globalement baissé mais le vecteur gaz sera toujours nécessaire, en particulier dans les secteurs où l’électrification a ses limites. Il faudra toutefois mieux valoriser les cobénéfices en termes d’émancipation de certains intrants agricoles, de gestion des déchets et de production en boucle locale.

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