REGARDS CROISÉS : Nicolas Bouzou/Bernard Aulagne

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Nicolas BOUZOU est économiste et fondateur du cabinet Asterès.
Cet échange s’est tenu à l’occasion de la sortie de son nouveau livre « L’innovation sauvera le monde » (Plon, septembre 2016)

En quoi l’innovation est-elle importante pour la transition énergétique ?

Nicolas Bouzou : L’énergie occupe un rôle central dans les grandes révolutions, ce qui est communément oublié. La première révolution industrielle avait une origine énergétique puisqu’elle était fondée sur la substitution du bois par le charbon. De même, les Trente Glorieuses ont été rendues possibles grâce au pétrole. L’offre d’énergie va donc devoir s’ajuster, et ce par l’innovation.

Bernard Aulagne : Pour le gaz, la transition énergétique passera par des innovations sur toute la chaîne de valeur. Avec en premier lieu l’innovation sur l’énergie elle-même, puisqu’après le gaz de ville et le gaz naturel, une troisième génération de gaz fait son apparition : le gaz renouvelable. Il peut être soit utilisé sur place sous forme de cogénération (à ce jour 350 à 400 sites, notamment industriels, fonctionnent grâce à cette technologie), soit transformé en biométhane et réinjecté dans les réseaux de distribution.

 

Qu’est-ce qui pousse à l’innovation dans le secteur énergétique ?

Nicolas Bouzou : Le rôle de l’énergie est d’autant plus important aujourd’hui que la demande est très forte. Trois facteurs principaux déterminent l’évolution de la demande énergétique : la population mondiale (qui va augmenter puis stagner autour de 10 milliards de personnes), le PIB par habitant (qui continue de progresser malgré un léger ralentissement) et l’urbanisation. Ce dernier facteur est très souvent omis, mais il est majeur : aujourd’hui, 50 % de la population mondiale vit dans des villes ; la proportion sera de 65 % en 2040. Ainsi, la demande d’énergie va progresser de 25 % à l’horizon 2040 ; la décroissance n’est pas une option.

Bernard Aulagne : Le deuxième type d’innovations pour le gaz est lié au développement des énergies renouvelables électriques (solaire, éolien, etc.) qui va conduire à une surproduction d’électricité en regard des besoins à certaines périodes, posant alors le problème du stockage de cette électricité excédentaire. La complémentarité du gaz prend alors tout son sens, car l’électricité supplémentaire peut être transformée en hydrogène via l’électrolyse de l’eau ou en méthane de synthèse et réinjectée dans les réseaux de gaz. C’est ce qu’on appelle le « Power to Gas ».

 

Où en est la France dans cette exigence d’innovation ?

Nicolas Bouzou : Notre pays n’est pas à l’aise avec cette question pour deux raisons. Depuis le XIXe siècle, l’énergie a été pensée en France comme un secteur qui devait être ordonné, avec de très grandes entreprises et des choix uniques, comme celui du nucléaire. Or, dans une phase de destruction créatrice*, il n’est pas possible de savoir quelle sera la prochaine énergie dominante. Par ailleurs, il est difficile de mener des politiques industrielles à la française, en privilégiant certains secteurs. Selon moi, la politique industrielle adéquate à mener dans le domaine de l’énergie est très simple : donner au carbone un prix de marché et faire confiance aux opérateurs, qui innoveront dans ce cadre.

Bernard Aulagne : La filière gaz en France est déjà omniprésente. Les réseaux de gaz font l’objet d’innovations (contrôle et sécurité, techniques plus performantes et respectueuses de l’environnement, amélioration de la flexibilité par le renforcement des interconnexions, etc.), tout comme les produits et les équipements. Trois axes guident cette innovation : la recherche permanente de la performance, le couplage avec les énergies renouvelables (par exemple le couplage d’une chaudière à condensation à l’énergie solaire) et la relation avec le consommateur, avec par exemple le déploiement du compteur intelligent Gazpar ou les chaudières désormais pilotables depuis un smartphone ou une tablette.

* La destruction créatrice désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.